LA PROXIMITE COUPABLE DES FILS D’AHARON

Paradoxalement, c’est au faîte de la joie que s’abat le malheur. Après avoir achevé la construction du Tabernacle le vingt cinq du mois de Kisslèv, après l’avoir monté et démonté inlassablement durant sept jours, du vingt trois au vingt neuf Adar, pour en vérifier la parfaite conformité et la fonctionnalité, après avoir procédé seul maintes et maintes fois, au culte sacrificiel quotidien, devant le peuple attentif et impatient, Moshé s’apprête à célébrer la dédicace du Mishkane le premier jour de Nissane, presque un an après la sortie d’Egypte.

Le Midrash nous révèle bien des péripéties survenues dans ces huit jours décisifs. Moshé, pensait qu’il allait assumer la prêtrise dans le Tabernacle qu’il connaissait parfaitement maintenant et dans lequel il s’était entraîné aux sacrifices relevant de la fonction du grand Prêtre, mais D. lui demande d’investir son frère Aharon pour cette haute fonction : première déception de Moshé. Il attendait aussi que D. Se manifeste durant les sept jours de l’investiture, alors qu’il procédait aux sacrifices, puisque toutes les conditions étaient réunies pour cela, mais il n’en a rien été : deuxième déception de Moshé.

Pourquoi ? Rabbi Chémouel ben Nahmani dit : durant six jours, D. avait essayé de convaincre Moshé d’accepter sa mission d’aller délivrer Israël d’Egypte et finalement, le septième jour, Moshé se dérobe en demandant à D. d’envoyer un autre : quelle déception pour D.

Ce n’est qu’au huitième jour que Moshé convoque Aharon et ses fils afin de lui annoncer sa consécration en tant que Cohen gadol : il est âgé de quatre vingt quatre ans.

Nous voyons alors l’extraordinaire grandeur d’âme des deux frères illustres : Aharon hésite parce qu’il pense que cette distinction revient à Moshé pour toute la peine qu’il s’est donnée ; celui-ci lui répond qu’il ressent sa consécration comme si c’était la sienne propre : ne s’était-il pas réjoui (Aharon) dans son cœur lorsque D. avait envoyé Moshé diriger la sortie d’Egypte, alors qu’il était son cadet ? De plus, Aharon avait la conscience chargée par la responsabilité qu’il avait prise dans le péché du veau d’or et la non apparition de D. pendant les sept jours lui fit craindre le pire : il ne serait pas pardonné. Comment pourrait-il donc officier devant D. en présentant des sacrifices expiatoires ? Moshé le rassure en lui indiquant que telle est la Volonté de D. (v. 7 et suiv.). Le premier sacrifice expiatoire qu’il fera sera un veau, rappelant la terrible faute d’Israël.

Imaginons la scène extraordinairement poignante de ce premier Nissane deux mille quatre cent quarante six. Dès l’aube, à l’heure où blanchit le désert, le peuple tout entier se rassemble une nouvelle fois à l’entrée du Tabernacle. Moshé l’avait déjà, une nouvelle fois, entièrement monté et Aharon se trouvait déjà dans la cour intérieure, entouré de ses enfants. Cette situation est pathétique : durant sept jours, Moshé était à l’intérieur procédant officieusement aux sacrifices et Aharon était en-dehors ; aujourd’hui, c’est au tour d’Aharon de prendre officiellement ses fonctions et d’être à l’intérieur, tandis que Moshé attendait dehors que D. Se manifeste à lui. Alors, devant le peuple rassemblé, Moshé répète ce que D. vient de lui dire à l’intention d’Aharon et de ses fils, il lui transmet le flambeau en le désignant grand Prêtre et de suite, Aharon commence son service en sacrifiant son expiatoire et son holocauste (IX v.8).

Le peuple est alors autorisé à pénétrer dans la cour du Tabernacle, qui ne mesurait que cent coudées de long sur cinquante de large (environ 1250 m²) et, prodige, il y trouve sa place. Moshé y voit le signe que D. va bientôt manifester Sa gloire (v.6). Aharon accomplit alors l’ensemble des sacrifices puis se tourne vers la foule d’Israël en élevant les bras pour la bénir en ce jour mémorable, pour la première fois, de la bénédiction sacerdotale. Mais D. ne S’était toujours pas montré, à la grande inquiétude d’Aharon et du peuple et aucun feu ne brûlait pour consumer notamment l’holocauste. Que se passait-il ? Le peuple partageait cette inquiétude, pensant que tous les efforts qu’ils avaient accomplis pour construire le Tabernacle étaient vains, et que D. ne leur avait pas pardonné leur faute honteuse (Rashi).

Pourtant, le Michkane était bien là pour effacer cette trahison.

Moshé et Aharon entrèrent alors dans la tente d’Assignation pour y implorer D. de Se manifester au peuple qui attendait, au comble de l’angoisse. Ils en ressortirent rassurés sur l’apparition imminente de D. et bénirent le peuple. Moshé comprend pourquoi D. ne S’était pas manifesté alors qu’il assurait lui-même les sacrifices : précisément parce que Aharon avait participé à cette faute collective, tout en voulant l’éviter. Il était donc à même de demander le pardon divin par les sacrifices au nom de tout le peuple ; il était directement concerné.

C’est alors que D. apparut aux yeux du peuple et un feu surgit du ciel et consuma l’holocauste disposé sur l’autel, déclenchant une grande clameur du peuple et une joie immense s’empara de tout ce peuple qui scella alors sa réconciliation avec son D.

C’est dans cette liesse générale qu’intervint exactement la mort dramatique des deux fils d’Aharon. La

raison « officielle » évoquée dans le texte est « qu’ils apportèrent un feu profane non voulu par D. » (X v.1).

Le Yalkouth Chimoni explique le déroulement des évènements : dans cette attente impatiente et tendue de la manifestation de D. qui semblait tarder, les deux fils d’Aharon, Nadav et Avihou, plutôt retirés et inconnus d’Israël, décidèrent de devancer les évènements et de prendre l’initiative d’apporter des braises pour brûler l’encens sur l’autel des encens placé juste devant la tenture séparant d’avec le Saint des Saints. Ces braises provenaient de leur propre réchaud domestique, inacceptable pour une telle occasion. Cette intervention intempestive et non souhaitée par D. leur valut la vie car un feu, Le Feu tant attendu par Israël, surgit effectivement du Saint des Saints, brûla l’encens placé sur l’autel, mais consuma aussi les deux prêtres impudents, puis alla brûler l’holocauste et les graisses sur l’autel des sacrifices, dans la cour.

Le peuple ne vit pas ce qui s’était passé à l’intérieur du sanctuaire puisqu’il était massé dans la cour et il ne vit que le sacrifice consumé sur l’autel, ce qui déclencha l’éclatement de sa joie.

Nos sages donnent plusieurs raisons à la mort subite des fils d’Aharon, mais il semble qu’ils périrent parce qu’ils voulurent trop s’approcher de D. au-delà de la limite imposée. Dans l’élan mystique qui les emporta vers D. ils ne surent pas garder leurs distances et les justes proportions. A ce niveau, c’est la raison qui doit l’emporter sur le cœur.