UN  SIGNE OU UN SYMBOLE ?

Dans le processus de la libération d’Egypte, la phase finale constituait la partie la plus importante, la plus déterminante pour le peuple d’Israël. Ce sont les derniers instants qui détermineront la qualité et le niveau de l’attachement que démontrera le peuple envers D.

Ce chabbath est appelé « le Grand Chabbath » en raison de l’accomplissement d’un certain nombre de commandements « préliminaires » qui auraient pu trouver leur place dans n’importe quelle situation sauf celle de la sortie d’Egypte, après deux siècles d’esclavage. Ainsi, le peuple d’Israël dut préparer un agneau dès le 10 Nissane, correspondant au chabbath qui précéda la sortie d’Egypte, afin de le sacrifier le soir de la libération de l’esclavage, le 15 Nissane. Les hébreux durent le sacrifier et asperger de son sang les poteaux et le linteau des portes. Les exégètes apportent moult explications à cette recommandation singulière au moment où chacun était plutôt occupé à se préparer à partir. Ramban se place d’emblée dans le thème astrologique, très puissant à l’époque. Par le sacrifice de l’animal qui correspond au signe zodiacal du mois de Nissan, Israël démontra clairement que l’influence astrale n’est  en rien dans la sortie d’Egypte et la suprématie du Créateur sur les astres est totale.

Cette explication va tout à fait dans le sens des commentateurs qui voient dans l’avalanche des dix plaies la démonstration aux yeux du pharaon que D. domine parfaitement les forces de la nature qu’Il a créée. Mais alors, pourquoi asperger de son sang et le montrer ostensiblement à sa porte ? L’idée profonde de cette action fut la nécessité pour Israël de démontrer clairement son engagement envers D. irréversiblement, même en se mettant en danger devant les égyptiens. Ce sang ne fut pas tant un signe distinctif aux portes d’Israël, comme le serait aujourd’hui une mézouza, que le symbole précisément de cet engagement, de ce détachement total des pratiques idolâtres et des croyances astrologiques des égyptiens sous l’influence desquelles ils avaient vécu toutes ces années. D’ailleurs, quel besoin aurait eu D. de ce sang sur les portes si ce n’est pour le peuple lui-même dans l’affirmation de ses convictions profondes ? Nous dirions même que ce sang aspergé sur les poteaux des portes était plus à l’intention d’Israël, à l’intérieur.

C’est dans cet ordre d’idée que nous devons comprendre la nécessité de se circoncire avant de sortir d’Egypte. En effet, bien que le texte n’en fait aucune mention, nos sages nous enseignent que les fils d’Israël, après des décennies d’interdiction, durent pratiquer la circoncision afin de rentrer dans l’alliance d’Abraham et se réclamer ainsi ses descendants pouvant bénéficier de la libération d’Egypte dont la promesse avait été faite explicitement à notre patriarche (Rashi XII v.26). D’ailleurs, les deux commandements ont été qualifiés oth, de signes ou symboles de l’attachement d’Israël à D. et de sa fidélité à son ascendance. Ces deux signes sont complémentaires : l’un est extérieur, l’autre est intime. L’un, arbore fièrement sa distinction des autres nations, l’autre constitue l’appartenance fondamentale à une alliance, à un peuple dont la pureté de sa descendance est cruciale. Cette idée d’extériorité et d’intériorité se retrouve chez certains commentaires qui affirment que le sang devait être aspergé à l’intérieur de la maison – conformément à la précision du verset « .. et ce sera pour vous un signe » pour vous et non pour les autres –  ce qui voudrait dire que le signe était à usage interne, comme pour méditer sur l’intervention de D. dans la sortie d’Egypte. Le signe extérieur n’est pas un but en soi et on lui préfère souvent un symbole fort à l’intérieur.

Cela nous mène à réfléchir sur la véritable signification de la mézouza. Elle est placée à la porte de notre maison, c’est-à-dire juste à la limite entre l’intérieur et l’extérieur et inversement. Le seuil est la transition entre le dehors et le dedans, entre le monde extérieur tumultueux et ses influences et le foyer paisible et intime où l’on doit vivre les valeurs de la Torah. Le symbole de cette loi qui doit nous éclairer dans  tous les domaines de la vie active, en sortant , avant d’affronter le monde extérieur et ses sollicitations et en entrant chez soi, pour aborder l’autre domaine de notre vie, plus important encore, celui de notre foyer et de notre vie intérieure. Cette frontière très nette ne doit pas susciter chez nous une double personnalité, tant s’en faut. L’harmonie doit régner dans la vie à l’extérieur comme à l’intérieur, sous l’influence bénéfique de notre Tora dont la présence et les principes sont constamment rappelés par cette mézouza à notre porte que l’on ne peut oublier tant elle est visible.

A l’instar de nos ancêtres qui, en plein bouleversement de la sortie d’Egypte, furent contraints de rester chez eux et d’observer ce sang à leur porte afin de comprendre le sens des évènements qu’ils vivaient et de ne pas oublier Celui Qui leur apportait le salut et la délivrance, nous avons l’obligation de comprendre le bien fondé de la présence de cet étui fixé sur le poteau de notre seuil. Il n’est pas un signe distinctif original qui ne manque pas d’attiser la curiosité des voisins non juifs ; ce n’est pas le but. Il doit être compris comme un signe et un symbole pour celui qui habite cette maison, pour celui qui franchit sa porte tous les jours et qui ne doit jamais oublier les valeurs fondamentales qui doivent éclairer sa vie, en-dehors comme en dedans.

La mila, dans ce même principe, préserve la pureté de la procréation à travers les valeurs millénaires de notre peuple, dans la vie la plus intime. C’est cela le oth, le symbole même qu’il a fallu préserver de tout temps et qu’il faut perpétuer.

Pour conclure, nous dirions qu’avant d’être libérés d’Egypte, les fils d’Israël durent opérer une sorte de bilan de conscience, oserai-je dire un shake-up, qui situerait ce peuple à sa véritable place par rapport à lui-même, par rapport à D. La sortie d’Egypte constitua un tel cataclysme historique, qu’il ne fut pas possible de l’assumer sans se restructurer totalement ; en somme, elle fut la venue messianique du moment, transcendante, imposante et bouleversante, entraînant dans son maelström une infinité de corrections et de mises au point. Les trois cinquièmes d’Israël y restèrent probablement parce qu’ils ne furent pas capables d’assumer ce bouleversement en dehors et en eux-mêmes.

C’est cette force que revêt Pessah, jusqu’à présent, cette fidélité au rituel du séder pluri millénaire, empreint de cette ambiance si particulière du passé lointain, de l’Histoire et du présent. La Hagadah déclare : « A chaque génération, chacun doit se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Egypte ! ». Si l’on comprend bien le message de Pessah, cela ne saurait être autrement. Nous sortirons d’Egypte vendredi soir, 15 Nissan.

Pessah kacher véssaméah lekhol am Israël.

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