LA  MATSA : L’ALIMENT  DE  LA  FOI

La principale interdiction de la fête de Pessah concerne, bien entendu, la possession et la consommation de hamets ou de levain. En corollaire, nous avons l’obligation de manger la matsa le premier jour, selon la Torah (Chémoth XII 17/20 ; XIII 7 ; Dévarim XVI 3). Or, celle-ci, dans le domaine des lois alimentaires, a plutôt l’habitude de nous interdire de consommer tel ou tel aliment, tel ou tel animal impur et non de nous obliger à manger tel aliment, comme elle le fait pour la matsa (Chemoth XII, v.15 entre autres). Pourquoi une telle insistance et cette importance accordée à la matsa au point d’en donner le nom à la fête, Hag hamatsoth ?

De plus, cette place centrale de la matsa à Pessah est appuyée par l’obligation d’éliminer radicalement le hamets, au point de n’en point tolérer la moindre miette de ce qui est pourtant notre aliment de base tout au long de l’année. Est-ce ainsi que l’on exprime notre reconnaissance envers le pain, que l’on apprend pourtant à respecter ?

Il parait évident que l’obligation de manger des azymes ne relève absolument pas de la nécessité de se sustenter uniquement, puisque la matsa n’a ni saveur, ni valeur nutritive particulière. En fait, la matsa est l’expression de notre participation personnelle à l’évènement de la sortie d’Egypte, au-delà de la simple commémoration. Si durant toute l’année, la référence à la sortie d’Egypte est constante dans nos prières, Pessah apporte une dimension supplémentaire. Il ne s’agit pas seulement de se souvenir de cet évènement capital de notre histoire, mais de revivre authentiquement tout le processus de la libération d’Israël. Celle-ci fut caractérisée par l’empressement de la sortie d’Egypte, à l’instant T très exactement, que D. avait choisi et qui ne pouvait souffrir aucun retard. Or, le mot hamets a aussi le sens de retard, suggère la négligence d’une chose importante. Nos sages utilisent le verbe léhahmits pour recommander de ne pas « négliger » d’accomplir une mitsvah qui passerait à portée de la main : ne la laisse pas lever, comme cette pâte qu’on laisse reposer et qui fermente et gonfle après quelques instants. Manger du hamets serait négliger l’opportunité unique de se joindre au processus de la guéoulah. D’où l’interdiction catégorique de consommer du pain, ce qui équivaut à retourner à l’état d’esclavage, à marcher à reculons.

Durant Pessah, la consommation de la matsa chaque jour, nous permet de prendre conscience de plus en plus de la libération d’Israël d’Egypte. Qu’est-ce que manger ? C’est la première nécessité vitale du bébé, l’acte le plus banal de la vie, pour la vie. Pourtant, c’est cet acte apparemment dérisoire qui va nous permettre d’accéder à la connaissance et à la conscience élevée de l’évènement capital de notre histoire. Nous sommes très au-dessus de la simple nécessité physique de nous nourrir : c’est notre esprit que nous enrichissons grâce à la quintessence de la matsa. Comment ? En intégrant toute la valeur symbolique et métahistorique de la matsa, tout autant qu’en la digérant (ou en essayant de le faire…). De plus, les ingrédients de base qui constituent la matsa, sembleraient en faire un aliment plutôt méprisé et dédaigné par tous. De nos jours, le pain est devenu très riche en toutes sortes d’ingrédients, très élaboré. La matsa quant à elle, n’est composée que de farine et d’eau. Israël s’appliquera à ne consommer que ce pain azyme, afin de démontrer qu’il s’attache à d’autres valeurs, que les critères de choix retenus par les nations ne sont pas les siens. Il en sera toujours ainsi dans tous les domaines de l’esprit dans lesquels Israël ne cherchera pas forcément le confort et l’agréable, mais le défi et l’élévation.

En mangeant de ce pain, j’extrais de l’aliment ce qu’il a de plus subtil, de plus ultime afin de nourrir mon esprit. Alors que le pain, nourriture par excellence, représente l’accès à la forme première de la culture dans ce que le pain est l’aboutissement précis d’une transformation d’une denrée, la matsa quant à elle, suggère un processus de réflexion me permettant de m’identifier à ce que je suis foncièrement : libre spirituellement. Nous pourrions paraphraser la célèbre réflexion du cogito : je mange donc je suis !

La matsa a une double signification que la Hagadah met en valeur : elle est à la fois le symbole de la sortie d’Egypte et de la liberté, mais aussi celui de la misère de l’esclavage de nos ancêtres. Cette dualité est très significative. Pour apprécier et comprendre le goût de la liberté, il faut avoir été esclave ; pour se sentir libre le soir de Pessah, il faut assumer au préalable notre condition antérieure d’esclaves. Ainsi, la Hagadah commence-t-elle son récit par cette mention : « Nous étions les esclaves du Pharaon en Egypte…» La référence constante à l’Histoire est le seul moyen d’assumer notre identité au présent ; si je ne sais pas d’où je viens, je ne sais pas qui je suis et où je vais.

La matsa est également fabriquée avec un élément pur : l’eau. Plus un corps est simple, plus il se rapproche de la perfection ; plus il est complexe, moins il est pur. Le pain, c’est une réalité quotidienne, est devenu sophistiqué, plein d’artifices pour le rendre plus moelleux, meilleur au goût, plus attrayant. La matsa, quant à elle, ne possède ni volume, ni goût, ni l’aspect attrayant : elle est dépouillée et rudimentaire. Elle est l’aliment frugal et primordial de l’esclavage, mais aussi l’aliment pur et noble de la sortie d’Egypte. Nous nous trouvons précisément, le soir de Pessah, dans cet état primordial, au commencement de tout ce processus spirituel qui nous mènera au pied du Sinaï.

Libérés aussi de toute influence étrangère, négative et nocive, nous sommes tel le nouveau né contemplant le monde de ses grands yeux et accomplissant ses premiers pas vers son propre avenir.

Pour cette démarche fondamentale, le pain est remplacé par la matsa, aliment pur et authentique, sans fard ni artifice. Ainsi, nous retrouvons le temps où la foi et la croyance sont nées, en même temps que la liberté, la vraie. Le Zohar appelle la matsa : l’aliment de la foi.

Celle-ci doit être pure et simple – pas simpliste mais simple – noble et désintéressée se rattachant à la source même de la sainteté et de la pureté. C’est ce processus que l’on retrouve dans la matsa qui ne doit être en contact avec aucun élément extérieur pouvant l’altérer, telle la foi pure toujours dirigée vers le Très Haut.

Nous comprenons alors pourquoi la Torah et nos Sages insistent-ils tant pour éliminer la présence la plus infime du hamets et le remplacer en totalité par la matsa, pour toute la durée de Pessah.

La fête de Pessah nous réconcilie avec notre histoire. Celle-ci, c’est notre conviction profonde, est induite par notre Créateur, qui la fait progresser selon Son dessein, afin de parvenir à la conclusion de la Création : la connaissance de D. par l’Homme.

Hag Pessah 5784 cacher vessaméah.

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