LE SENS DES SACRIFICES DANS LA TORAH

Une grande partie du livre de Vayikra est consacrée au culte sacrificiel, fastidieux et complexe. On ne peut lire à nouveau ce troisième livre de la Torah sans essayer d’en comprendre le sens profond, ou en tout cas tenter de le faire.

De nos jours, puisque nous n’avons plus le Temple, détruit il y a plus de deux mille ans par les romains, pour y offrir à nouveau nos sacrifices, toutes ces sections revêtent forcément un aspect symbolique, outre leurs significations cachées. Nous allons tenter d’y voir plus clair avec notre analyse de la parachath Tsav.

La parachath vayikra nous enseigne quatre catégories de sacrifices : l’holocauste ( ola ), les pacifiques ( chélamim ), l’expiatoire ( hatate ) et le sacrifice de culpabilité ( acham ). Dans cette section, la Torah continue de nous décrire le rituel des sacrifices, avec, cette fois-ci, l’intervention d’Aharon le Grand Prêtre et de ses fils chargés notamment du cérémonial des sacrifices lors de la dédicace du Tabernacle célébrée le premier Nissane. A ces sacrifices d’animaux, il faut ajouter, dans l’ordre d’évocation de la parachath vayikra, l’oblation ( minha ) qui consiste en une offrande de semoule diluée dans de l’huile, réservée à celui qui ne peut acheter un animal pour le sacrifier.

Ces sacrifices sont à distinguer totalement de ceux auxquels la Torah nous avait habitués, dans le livre de Béréchit, de la part de Caïn et d’Abel, de Noah, d’Abraham et des Patriarches, ainsi que le bélier offert en lieu et place de Yitshak, tous apparentés plutôt à l’holocauste ou aux pacifiques, à l’exception du dernier, et non aux expiatoires. Notre parachah, Tsav, se place dans le prolongement dans la description des sacrifices et de leur rituel.

Nous remarquons, ce qui semble logique, qu’aucun sacrifice ne concerne la relation d’un homme avec son prochain, mais uniquement vis-à-vis de D. Alors que l’holocauste, qui est offert entièrement en sacrifice à D. et doit être totalement consumé sur l’autel, ainsi que le sacrifice pacifique, sont tous deux dédiés à D. volontairement de la part de celui qui les offre, les sacrifices expiatoire et de culpabilité sont obligatoires en raison de fautes commises involontairement.

Nous abordons ici le point essentiel de notre réflexion que nous allons centrer sur l’intention qui doit accompagner l’offrande de sacrifices, l’âme du sacrifice sans laquelle il ne représenterait rien d’autre qu’un animal immolé et grillé sur le feu. D’ailleurs, dans tous les sacrifices de particuliers, ceux dont on parle ici, l’on doit apposer ses deux mains sur le front de l’animal, de toutes ses forces, et prononcer une reconnaissance de la faute commise, le vidouye. Pour ce qui concerne le sacrifice pacifique, ce seront des paroles de reconnaissance et de louanges que l’on prononcera. Cet acte de sémikha est accompli, lors des sacrifices offerts de la part du peuple tel le bouc émissaire de Kippour, que par le Grand Prêtre, au nom de la collectivité.

Cette intention pensée avec concentration au moment du sacrifice, donnera toute sa force expiatoire au sacrifice – l’animal ne sera pas sacrifié pour rien – et lavera l’opprobre de la faute commise non intentionnellement. En d’autres termes, la faute involontaire sera pardonnée entièrement, grâce au sacrifice, et il ne sera pas tenu de rigueur de l’acte en lui-même. Cette « philosophie » du sacrifice dans la Torah, fut proprement révolutionnaire car, dans l’antiquité, et particulièrement dans la mythologie grecque, c’est l’acte répréhensible qui était condamné et puni, peu importait l’intention. Ainsi, Œdipe est châtié pour avoir tué son père Laïos, et épousé sa mère, bien qu’il n’ait pas su qui ils étaient, dans la fameuse tragédie de Sophocle. Ce sujet fort connu, posa le problème de l’irresponsabilité et de la fatalité dans la faute.

En opposition totale à cela, la Torah vient nous enseigner que c’est l’intention qui détermine la gravité et la condamnation d’une faute, non son accomplissement. C’est évidemment cette vision qui sera retenue dans le droit moderne. Conformément à la théorie de Maïmonide, exposée dans son Guide, le service sacrificiel permet d’éradiquer progressivement les croyances corrompues des cultes idolâtres d’antan, auxquels étaient dangereusement exposées les fils d’Israël. Tous les peuples environnants étaient idolâtres, sans parler de l’Egypte où ils avaient été esclaves durant plus de deux siècles. Or, cette pensée profonde dans le sacrifice permet de retirer de l’homme la culpabilité qui ne serait fondée que sur l’acte. Cet élément d’acte involontaire est d’ailleurs précisé avec insistance dans plusieurs versets relatifs aux sacrifices expiatoires, dans la section chélah lékha ( Bamidbar XV 22-29 ) : celui qui agit de bonne foi, sa faute lui sera pardonnée grâce au sacrifice.

Mais qui peut affirmer sincèrement sa bonne foi et être cru ? Nous comprenons alors pourquoi les sacrifices ne concernent que les fautes de l’homme vis-à-vis de D. et non vis-à-vis des hommes. Pour ces dernières fautes, ce sont les tribunaux qui devront déterminer la bonne ou la mauvaise foi, le préjudice intentionnel et prémédité ou la faute involontaire.

Mais pour ce qui est des fautes envers D. Lui Seul peut savoir ce qu’il en est des intentions de chacun et c’est en cela que l’intention intime qui devait accompagner le sacrifice était indispensable, parce qu’elle plaçait l’individu seul devant D. devant Celui « qui sonde les cœurs et les reins ».

Cependant, il est un domaine dans lequel la pensée ou plutôt l’intention, peut être décelée par l’homme, en l’occurrence le tribunal : le chabbath. En la matière, celui qui profane le chabbath, après avoir été mis en garde que tel acte est une profanation, est passible de mort par lapidation, par un tribunal. Le chabbath est une alliance entre D. et Israël, certes, mais il appartient au tribunal d’en bas de décider de la culpabilité, selon l’intention qui se traduit dans les faits. C’est pour prévenir qu’une telle profanation ne serve de mauvais exemple aux autres que le tribunal a reçu le pouvoir de décider et de trancher. Cela apparaît lors de l’épisode malheureux « du coupeur de bois », dans le désert, qui fut condamné et lapidé, sur l’ordre de D. (Bamidbar XV 32) 

Il est bien connu qu’aujourd’hui, ce sont nos prières qui remplacent les sacrifices d’antan, conformément au verset du prophète Osée : « Nous remplacerons les taureaux par nos lèvres » (XIV v.3), mais les règles sont restées les mêmes. Si une prière n’est pas accompagnée des intentions profondes qui lui correspondent, si le cœur n’est pas sincère et l’esprit est ailleurs, elle ne peut avoir la moindre valeur, tel un corps sans âme, avait dit un maître du hassidisme.

Certes, il n’est pas aisé d’éviter la monotonie de la récitation des prières répétitives, mais c’est en y investissant toute notre concentration ne serait-ce qu’en en comprenant le sens, que nous pouvons faire de chaque prière un moment privilégié dans notre relation avec D.

Autrefois, il fallait aller jusqu’au Temple pour y sacrifier un animal que l’on aura choisi au préalable puis amené à pied : aujourd’hui, il est bien plus facile de s’isoler et de se concentrer dans sa prière à D. ou d’aller dans n’importe quelle synagogue pour y retrouver une communauté de fidèles et prier le Tout Puissant, à condition que les règles soient respectées, bien sûr.

Que D. agrée toutes nos prières, et qu’Il rebâtisse le Temple que nous appelons de tous nos vœux, pour que cesse la haine et la violence et que la connaissance de D. emplisse tous l’esprit de tous les hommes. Amen.