ESTHER : UNE FEMME D’EXCEPTION.

Il est bien connu que la fête de Pourim est l’une des fêtes les plus joyeuses de l’année hébraïque, au point que l’on est « tenu » de manifester cette joie déjà depuis le début du mois d’Adar. La raison est, bien entendu, parce que le complot de l’ennemi juré des juifs, Haman l’Amalécite, s’est complètement retourné contre lui et l’a perdu, lui et tous ses semblables.

Pourtant, ce retournement de situation ne fut guère prévisible et maîtrisé. Il fut l’aboutissement d’un plan minutieux et discret mis au point par une femme courageuse et intelligente, la reine Esther, et son oncle, l’illustre Mordekhaï, membre éminent de la Grande Assemblée. Nos sages font remarquer que le Nom de D. est absent du texte du « Rouleau d’Esther » ; est-ce à dire que Le Tout Puissant serait « étranger » aux évènements et à l’heureux dénouement de l’histoire de Pourim ? Rien n’est moins vrai ! D. est présent et dirige l’Histoire, la grande et la petite, sans prodige et sans ostentation. La particularité de Pourim tient précisément dans l’anonymat des personnages essentiels, dans leur silence et dans leur grande discrétion quant à leur origine. Tout est caché, sous-terrain, tant dans le complot contre les juifs, que dans la riposte de la reine. Son nom, que lui donna son oncle d’ailleurs, exprime cette discrétion : Esther, de la racine séter qui signifie « caché ». En effet, Mordekhaï lui recommande fermement de ne rien révéler à personne sur son origine juive et sa ville natale, Jérusalem, afin de ne rien obérer de son destin. Lui-même sauve la vie du roi Assuérus-Artaxerxés sans qu’il en soit fait état en haut lieu, si ce n’est la consignation dans le livre des chroniques du royaume de Perse.

Le Alchikh hakadoch, célèbre exégète de Safed du XVIème siècle, trouve également dans ce nom l’expression du mystère qui régnait alors, à propos de la moralité d’Esther. Les juifs de l’époque étaient plutôt perplexes pour cette reine juive, élevée et éduquée si précieusement par Mordekhaï, un des maîitres du peuple juif, qui accepte de s’unir à Assuérus l’idolâtre, en délaissant le foyer protégé de son oncle. Si, comme son ancêtre Sarah, elle avait été prise de force au palais royal, elle n’aurait dû y rester que très peu de temps et s’éloigner du roi impur, telle Sarah qui ne resta qu’une seule nuit dans le palais de Pharaon, pour retourner auprès d’Avraham sans être souillée. Si elle était réellement juste et pure devant D. elle aurait bénéficié de Sa Haute Providence et de quelque prodige qui l’aurait sauvée ! Sa bonne foi et sa pureté d’âme ne seront révélées à tous que lorsqu’elle sera parvenue à ses fins en obtenant la mort de Haman. Imaginons l’extrême retenue et le sens de l’abnégation pour cette femme qui suppose l’état d’âme de son peuple à son endroit, mais qui s’impose le silence et préfère voir bien plus loin, dans le secret avec Mordekhaï, et préparer le salut de son peuple. Les commentateurs font remarquer qu’elle est descendante du roi Saül de la tribu de Binyamin. Or, son ancêtre, fils de Rachel, avait hérité des qualités exceptionnelles de sa mère, discrète et pudique au point d’accepter de ne pas être donnée à Jacob le soir de leur mariage, préférant laisser sa sœur aînée Léa entrer dans la couche du Patriarche, pour éviter qu’elle soit donnée en épouse.

En fait, son véritable nom de naissance fut Hadassa, du nom de hadass, la myrrhe, qu’elle porta de façon particulièrement prédestinée. En effet, dit le Midrash, cette plante est très odorante mais amère au goût, tout comme Esther qui fit le plus grand bien à Mordekhaï et à son peuple, tout en étant si amère pour Haman son ennemi. Mais, en vérité, c’est son nom d’emprunt qui illustrera son véritable destin au service de son peuple, en indiquant le secret de toute sa stratégie pour confondre et éliminer Haman.

Pourtant, au moment crucial de son histoire, Esther va hésiter et même reculer, au lieu de prendre son destin en mains et se fier à D. pour agir pour le bien de son peuple. En effet, devant demander une audience au roi, elle va prétexter la loi terrible qui interdit à quiconque de se présenter devant le roi sans y avoir été invité. Comment pourrait-elle se mettre en danger et subir le même sort que Vachti, en se présentant devant le roi sans y avoir été conviée. C’est alors que Mordekhaï va lui donner une leçon mémorable sur la véritable nature de son destin. « N’imagine pas un instant que tu pourrais être épargnée en étant au palais royal, parmi ton peuple ! ». Il lui dit que la véritable raison de sa présence auprès du roi, est de pouvoir sauver son peuple, car c’est D. Qui l’y a placée. Sa vie propre n’a aucune importance face au destin de ton un peuple, et elle ne doit pas en douter, celui-ci trouvera son salut venu d’en Haut d’une autre façon, et quant à elle, elle périra lamentablement sans avoir pu tenter quoi que ce soit. En somme, il lui dit que sa seule raison d’être, c’est d’intercéder en bravant tous les dangers, qui ne sont rien en regard de la menace redoutable qui pèse sur Israël. Il est des moments dans des grandes destinées, où l’on ne doit pas même repousser l’instant d’intervenir ; ce moment était arrivé.  

Ces paroles suffirent pour qu’Esther se ceint de tout son courage et aille se présenter devant le roi, en disant ces fameuses paroles : « et que je périsse si je péris ! ». Elle va donc, avec l’appui et au nom de tout son peuple réuni dans un jeûne de trois jours qu’elle décréta, trouver la force et agir avec une extraordinaire finesse, afin d’amener l’ennemi dans son filet. Elle va inviter le roi et son ministre, à deux reprises, à une réception qu’elle organisera dans ses appartements privés, afin de le mettre en confiance et de préserver son effet de surprise sur lequel elle avait fondé tout son plan. Esther n’est pas une intrigante, elle ne cherche pas à réaliser son ambition personnelle en éliminant un concurrent gênant. Elle est consciente de son rôle d’intercesseur que D. veut lui faire jouer et elle comprend aussi qu’elle doit placer toute sa démarche sous le signe divin, d’où sa décision de décréter un jeûne public de trois jours pour tous les juifs, afin qu’ils prennent conscience de leurs erreurs passées, et qu’ils comprennent bien que c’est en leur nom qu’elle va se présenter devant le roi. Le jeûne va « réparer » la grave faute commise par les juifs lorsqu’ils se participèrent volontiers au festin royal, lors de l’intronisation d’Assuérus. Festin voulait dire orgie, en ces temps-là et la place des juifs n’était certes pas au milieu de ces agapes méprisables.

Esther va présenter sa cause devant le roi, lors de la seconde invitation, progressivement, avec un sens prodigieux pour le suspens, de telle sorte qu’elle ne laissa pas un instant au roi pour réfléchir, ce qu’il semblait faire rarement, et au comble de sa colère, ce qui lui arrivait souvent, ordonner de pendre Haman haut et court, avec ses dix fils. Mais elle ne s’en tint pas là ; ayant vaincu son ennemi, elle fera placer Mordekhaï en lieu et place de Haman et demandera la révocation de l’édit royal en permettant aux juifs de s’en prendre à leurs ennemis au jour prévu pour leur propre destruction. C’est le thème essentiel de Pouriim : l’inversion du plan, le bouleversement de la tendance et l’instauration d’un nouvel ordre.

Esther n’est pas actrice d’un scénario écrit pour elle ; ELLE EST l’Histoire, elle la conçoit et la dirige vers un objectif précis. On peut dire qu’elle manipule les personnages les plus importants, Assuérus et Haman, pour qu’elle puisse arriver à ses fins.

Même Mordekhaï passe en second plan. En fait, il n’est là que pour l’aiguillonner, pour l’inciter à agir et à ne pas se reposer sur ses hautes fonctions de reine. Elle n’est pas une femme du sérail : elle est celle par qui tout peut arriver. Une fois les paroles de Mordekhaï dites, elle prend les choses en mains et Mordekhaï ne fera que suivre ses instructions. C’est Esther qui dirige l’histoire des juifs de l’empire Perse. Descendante de Binyamin, donc de Rahel, elle agira telle son ancêtre, dans l’ombre et la discrétion, n’ayant que sa conscience comme boussole dans la tempête qui se prépare. Le résultat est impressionnant :

« Ce jour-là, le roi Assuérus fit don à la reine Esther de la maison de Haman, persécuteur des juifs … » (VIII v.1 et suivants)

« Puis Esther revint à la charge pour parler au roi… et le supplia de révoquer le funeste plan de Haman qu’il avait formé contre les juifs ». (VIII v.3)

Et d’autres versets encore.

C’est Esther qui transcrivit les faits et les évènements relatés dans la Méguilah qui porte son nom, en démontrant que tous avaient été induits par la Volonté de D. à la suite des jeûnes et des prières qu’elle avait incité son peuple à faire.

L’Histoire est inscrite par D. et son dénouement est déjà prévu dans son commencement. Voici la véritable leçon de Pourim.