Discours du Président HALIMI le 18 Juillet 2021

Tout d’abord, je tiens à vous remercier chaleureusement d’avoir fait le choix de consacrer cette matinée estivale à cette cérémonie du souvenir en hommage aux milliers de victimes de la Rafle du Vel’ d’Hiv’ des 16 et 17 juillet 1942.

Disparus sans sépultures, notre cérémonie leur tient lieu de stèle et d’épitaphe.

Tout comme l’effacement des corps, brûlés dans les crématoires des camps, l’effacement des noms des victimes était également au cœur de l’entreprise d’extermination nazie, raison pour laquelle elles étaient réduites à de simples numéros tatoués sur leurs bras.

 Si l’on ne peut ressusciter les corps partis en fumée, on peut et on doit rappeler leurs noms et restaurer les vestiges de leur existence. On se laisse parfois fourvoyer par les statistiques qui nous font imaginer un « cheptel humain », informe et anonyme, conduit à l’abattoir.

Mais au-delà du dénombrement des 13 152 victimes alignées à la queue-leu-leu il y a des visages, rien d’autre que des visages, tellement particuliers, tellement uniques, tellement humains.

Voyez le visage flétri, fatigué et désabusé de la vieille Rosalie ; le visage poupin de Sarah, à peine sorti de l’enfance, le visage d’ange du petit Salomon, effaré par l’incompréhension ; le visage terrorisé de la petite Ginette, le regard braqué sur les lèvres de sa mère dont elle attend un mot d’explication, un signe d’espoir ; le visage blafard et impuissant de Moshe, ce géant qui avait pourtant passé sa vie à protéger les siens.

Rosalie, Sarah, Salomon, Moshe ou Ginette auraient, à n’en pas douter, préféré qu’on leur propose un vaccin plutôt que de les enfermer dans un train qui les a conduit à une mort certaine.

Que les militants anti vaccin contre le Covid arborent l’étoile jaune pour illustrer leur combat est une insulte à la mémoire de Toutes les Rosalie, Régine où Moshe.

Honte à eux de comparer la Shoah avec des directives sanitaires prises dans l’intérêt collectif.

Il faudrait ajouter à cette galerie tant d’autres portraits pour dresser un tableau plus complet de cet épisode horrible du Vel’ d’Hiv : visages des 881 binômes de policiers français qui ont accompli leur sinistre mission avec une diversité de comportements qui rend difficile tout jugement global et définitif sur leur corporation : ici le visage débonnaire du brave type qui aurait préféré être ailleurs en ce jour maudit ; là le faciès consciencieux et détaché du professionnel rompu aux automatismes de sa fonction ; plus loin le regard martial d’un « Dupont-Lajoie » lesté d’un lourd atavisme raciste, pas mécontent de sa prise de chasse devant laquelle il se serait bien pris en photo ; plus en retrait, comme s’il voulait se démarquer de ses collègues, le visage abattu du compassionnel, heurté dans sa conscience par l’atrocité de la besogne et qui, la veille au soir, a pris le risque insensé de prévenir un maximum de familles juives de l’imminence du danger, grâce à quoi ils ont pu échapper au sort funeste de leurs coreligionnaires.

Gloire à tous ces Français, héros ordinaires, braves entre les braves, promus Justes parmi les nations, et qui, pour l’honneur de l’humain, pour l’honneur de la France des droits de l’homme, vont risquer leur vie en sauvant celles de leurs semblables affublés du stigmate de l’étoile jaune.

Par leur courage insensé, ils ont sauvé des dizaines de milliers de Juifs d’une mort certaine et ont fait de la France, avec quelque 70 000 victimes, parmi tous les pays occupés d’Europe, celui qui a été le plus « épargné » par la barbarie nazie.

« Plus jamais ça ! ». Comme après chaque conflagration, on s’est laissé bercer par cette phrase onirique d’un nouveau monde. Offense à la logique implacable de l’histoire dont la haine antijuive est l’une des constantes aussi invariables que les lois universelles de la physique.

Quel rapport en effet entre les nazis « cultivés » et tirés à quatre épingles qui obéirent aux ordres du sinistre Théodor Dannecker, ordonnateur de la rafle du Vel’ d’Hiv’, les fanatiques islamistes des années 2000 qui vont sévir à travers l’Europe pour tuer du Koufar (impie), juif de préférence, et les mollahs iraniens qui hurlent à l’envi leur volonté d’éradiquer l’entité sioniste de la surface du globe ? Leur seul point commun : la haine immémoriale des enfants d’Israël qui, comme un flot tumultueux irrépressible, trouvera toujours un exutoire où se déverser. Depuis le début du 21ème siècle le « plus jamais ça » n’a pas empêché une grande partie des Juifs de France de se sentir menacés dans leur propre pays et d’émigrer vers des cieux plus cléments sous l’effet des vagues d’antisémitisme successives. Que serait l’Europe si l’angoisse des Juifs continuait d’entretenir ce flot migratoire incessant d’un pays à l’autre ? Et que deviendraient ces cérémonies s’il n’y avait plus de Juifs pour y participer à vos côtés, dans certaines de nos régions ?

 Encore une fois, cette cérémonie du Vel’ d’Hiv’ coïncide avec la commémoration religieuse de Ticha Béav, anniversaire de la double destruction du  Temple de Jérusalem et que nous marquons par un long jeûne et la récitation d’élégies funèbres dans nos synagogues. La destruction en ce même jour, mais à quelques siècles d’intervalle, du 1er temple de Jérusalem par les Assyriens, et celle du 2ème temple par les Romains, comptent parmi les premières manifestations d’antijudaïsme qui s’accompagnaient d’une volonté acharnée d’éradiquer le lien organique et spirituel entre le peuple juif, son sanctuaire sacré et Jérusalem.

Mais votre présence fraternelle et amicale à nos côtés, en cette journée, démontre, s’il en était encore besoin, que les forces de Lumière que vous représentez finiront toujours par l’emporter sur celles de l’Obscurité

« Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores.

Étonnons-nous des soirs, mais vivons les matins. »

Guillaume Apollinaire