LA SAINTETE COMME MODE DE VIE

Dans cette période de l’année, celle du Omer où nous nous apprêtons à célébrer les hillouloth, les grands saints d’Israël, et dans la perspective de Chavouth, fête du don de la Torah, nous vous proposons une réflexion sur l’une des composantes essentielles de l’être juif : la sainteté. Nous lisions dernièrement la section Kédochim, l’appel de D. à la sainteté d’Israël, par une vie prude et vertueuse. L’une des notions fondamentales enseignées dans la Torah est celle de la sainteté, présentée comme un commandement que l’on doit accomplir, au même titre que tous les autres. Plus qu’une notion, en fait, c’est un mode de vie que préconise la Torah. Pourtant, la seule définition du terme pose déjà quelque difficulté, à plus forte raison son application.

La première définition du mot kédoucha que l’on pourrait donner est « séparation ». Ce qui est saint est séparé du reste du monde puis consacré au point de devenir inutilisable pour le profane. Rashi et Ramban proposent en effet cette définition, le premier en précisant « séparé et éloigné de toute débauche sexuelle » et le second en donnant une définition plus globale : être éloigné de toute faute en général, en adoptant en toute circonstance une conduite toujours irréprochable. Précisons à ce sujet, que les grands sages de l’époque de la Michna, étaient appelés pérouchim, les Pharisiens en français, c’est-à-dire « séparés » ou « distingués » du reste de la population, et surtout des tsédoukim, leurs adversaires farouches.

Dans cet ordre d’idée, nous comprenons la signification des kidouchine, des « fiançailles », qui sont en fait, la consécration d’une jeune fille par un jeune homme, ce qui la rend, dans le droit rabbinique, séparée des autres jeunes filles et interdite à tout autre homme en vue du mariage.

De la même manière, le peuple d’Israël a été consacré par D. au mont Sinaï notamment lorsqu’Il lui déclara : « Et vous serez  pour Moi une royauté de Prêtres et une nation sainte » (Chémoth XIX v.6).

La Torah permettra ainsi à Israël de se distinguer des autres nations et par là même, d’être consacré par D. Il veut avoir Son peuple pour Lui seul, tel une mariée, rejetant ainsi toute infidélité. Cela est très explicite dans ce verset de notre parachah : « Je vous ai séparé de tous les peuples pour que vous soyez à Moi » (XX v.26).

Par ailleurs, nous remarquons qu’à propos des animaux purs et impurs, la Torah parle également de la nécessité de se sanctifier, notamment à travers notre alimentation : « Vous vous sanctifierez et vous serez saints car Je suis Moi-Même Saint, l’Eternel votre D. » (Vayikra XI v.44).

Si nous nous référons au commentaire de Rashi cité plus haut, nous remarquerons ce parallèle établi entre les règles alimentaires et l’éthique sexuelle que l’on doit respecter. Quel point commun y a-t-il entre notre alimentation et notre vie intime ? Les deux sont liées à nos instincts primaires les plus puissants qui soient, et c’est précisément dans ces deux domaines que l’homme doit savoir se montrer supérieur à l’animal qui est mu par ses deux instincts de la conservation et de la reproduction. Dès lors, nous comprenons  l’insistance avec laquelle le verset nous indique la nécessaire sanctification, à l’instar de la sainteté divine désignée comme l’exemple absolu. Il n’est pas question d’être saint comme D. est Saint, chose impossible à atteindre et sans commune mesure, mais de l’être comme un homme peut l’être dans sa vie courante, à partir de ses actes quotidiens. D’ailleurs, D. ne Se donne pas comme exemple à suivre mais comme référence de sainteté vers laquelle il faut tendre. De plus, il n’est pas pensable que D. nous impose une chose insurmontable, comme s’Il nous lançait un défi qu’aucun homme ne puisse relever. Telle est nullement l’intention du Très-Haut, puisque le troisième verset de la parachah nous indique une sorte de mode d’emploi : « Vous devez, chacun, craindre sa mère et son père et observer mes Chabbath …» C’est en respectant ses parents, chose peu aisée au demeurant, et en observant le chabbath que nous pouvons, entre autres, nous élever et parvenir à cette sainteté réclamée par la Torah. Cela écarte d’emblée cette idée fausse que beaucoup peuvent avoir de considérer la sainteté comme l’apanage des grands justes et se considérant comme bien trop insignifiants pour y prétendre.

Certes, il y a des degrés et des étapes importantes à franchir, mais la chose est possible en commençant par des petits pas, dans le monde de tous les jours, par l’observance de commandements qui sont tout à

fait à notre portée. Nos sages nous disent : « Sanctifies-toi par ce qui t’es permis » ; c’est en agissant, en t’imposant des restrictions dans  ce qu’il t’es permis de faire, que tu te sanctifieras.

Rabbi Lévi Ytshak de Berdichev commente ainsi ce verset de David, dans les Psaumes : « Dans toutes tes habitudes, connais-Le ». A chaque fois qu’il nous est possible de faire quelque chose, en toute légalité, nous devons l’accomplir en pensant le faire pour D. Mieux encore, c’est en s’impliquant réellement dans le monde et en essayant de l’améliorer que nous pouvons prétendre s’élever dans l’échelle de la sainteté. Si nous prenons nos repas quotidiens, chose banale somme toute, nous devons les élever et les idéaliser au point qu’ils deviennent  des moments privilégiés ou l’on transcende la matière, où l’on idéalise l’aliment qui nous sustente. C’est le but des ablutions avant le repas qui ne sont en rien un lavage des mains par mesure d’hygiène, et de la bénédiction du pain à quoi l’on accorde sa véritable importance de don de D. 

Il est donc évident que la conception juive de la sainteté est aux antipodes de celle de ces ermites qui s’isolent et éloignent du monde, qu’ils observent avec morgue et mépris, pour s’élever, leur semble-t-il, dans la spiritualité et la méditation. Bien au contraire ! Ce monde a été donné à l’homme pour qu’il y agisse afin de le transcender, de l’amender, de le transformer afin de parvenir à la sainteté, à travers les moyens que lui procure ce monde. C’est la matière qui permet à l’esprit de s’élever réellement, tel le corps qui est l’habitacle de l’âme et son rempart. Vouloir ignorer la chair et la matière, c’est tout simplement obérer les capacités de l’âme et compromettre sa mission sur terre, qui est d’élever l’homme vers l’infini.

Maïmonide ajoute un degré supplémentaire dans cette échelle vers la sainteté. Si D. nous demande de marcher dans Ses voies (Dévarim XXVIII v.9), et d’être saints à Son image, cela veut dire que nous devons agir comme Lui dans notre vie quotidienne : de même qu’Il est miséricordieux, tu dois l’être, toi aussi ; de même qu’Il est plein de grâce, sois-le, toi aussi. Ainsi, tout dans notre conduite devra être louable, à l’instar de celle de D. ce qui nous mènera sans nul doute à cette sainteté recommandée dans la Torah.

Il est trois sanctifications dans la tradition juive : le temps, par le chabbath ; l’espace, par le Tabernacle et l’homme, par Israël. Il est intéressant de remarquer que c’est l’homme-Israël, qui réunira ces trois saintetés voulues par D. C’est lui qui en a conscience et qui permet d’élever et d’unir cette trilogie au plus haut niveau de la perception humaine. Or, cela ne lui est possible qu’à travers le monde concret, en observant le chabbath pratiquement et en foulant le parvis du Temple pour y accomplir son service rituel. D. bénit certes, le chabbath et le sanctifie, mais c’est à l’homme qu’Il laisse le soin de le garder et de le pérenniser. Il en est de même pour le Temple qu’Israël doit garder en tant que demeure divine, lieu de paix et d’équité pour tous les hommes. Sitôt que cette finalité ne fut plus atteinte, il ne devint plus nécessaire de le garder.

Seul l’homme peut être saint comme un homme doit l’être, à l’instar de D. Il n’est lui est pas demandé  d’être un ange, mais un homme, œuvre de D. et objet de toutes Ses attentions et de Ses attentes. Un fameux enseignement est donné au nom de Rabbi Zoucha, de Lizensk : « Après 120 ans, il ne nous sera pas reproché de ne pas avoir été Abraham ou Moïse ; on me demandera : Zoucha ! Pourquoi n’as-tu pas été Zoucha ?! ».

Et ce que l’on peut dire de la sainteté au niveau de l’individu, peut être dit aussi à l’échelon d’un pays. Que veut-on faire d’Israël ? Un état comme les autres qui siègent à l’ONU, ou veut-on en faire un pays saint, soucieux de sa spécificité et de sa spiritualité ? Il est temps de répondre sérieusement à cette question embarrassante, surtout à l’occasion du Yom Haatsmaouth.

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