L’ECLAT IMPERISSABLE DE HANOUKAH

Imaginez-vous des dizaines d’années en arrière, un retour à votre enfance lorsque, entouré de vos parents et de vos proches, vous regardiez fasciné la hanoukiah familiale illuminée, brillant de tous ses feux, posée majestueusement près de la fenêtre. Combien de temps la fixiez-vous, en écoutant le traditionnel « Maoz Tsour yéchouati » chanté en chœur par toute la famille sur un air ressemblant à une marche d’Haendel.

Aujourd’hui, c’est vous qui êtes le chef de famille et qui réunissez vos enfants et petits enfants pour accomplir le même geste millénaire : allumer les petites lumières de Hanoukah.  Des années ont passé depuis votre enfance, mais l’émotion reste entière, et la fascination de vos petits enfants est la même que la vôtre quand vous aviez leur âge. Pourtant, ce ne sont que de banales mèches de coton ou de simples bougies, mais leur magie a traversé les siècles sans rien perdre de sa force. Nous allons tenter d’en comprendre le secret.

Il est aisé de comprendre, tout d’abord, que seule l’histoire de Hanoukah n’aurait pas suffi à capter l’attention de dizaines de générations de juifs, depuis l’an 165 avant l’ère vulgaire. Le combat des Asmonéens contre les Grecs, pour héroïque et victorieux qu’il ait été, n’explique pas l’engouement infaillible du peuple juif pour cette fête particulière, quels que soient le degré de pratique et de fidélité à la Tradition juive. Il y a donc ici un symbole fort et un message clair qui défie le temps, qui transcende le temps. Hanoukah fut célébrée aussi bien dans les maisons d’Israël de l’époque du second Temple que dans les sombres périodes du Moyen Age, ainsi que dans le ghetto de Varsovie. L’Histoire n’a de sens que si on l’interprète à l’aune des évènements présents, que si elle se projette dans l’avenir ; sinon, pourquoi fêterions-nous encore Pessah et la sortie d’Egypte, Chavouoth et la Révélation sinaïtique, Pourim et le récit d’Esther et bien sûr, Hanoukah et la révolte des Asmonéens ? Israël est le peuple de l’Histoire, et pourtant, il est extraordinairement tourné vers son futur qu’il bâtit aussi avec sa mémoire.

L’histoire de Hanoukah est celle du combat du faible contre le fort, de la lumière contre les ténèbres, de l’esprit contre la matière brute et, contre toute attente logique, c’est le faible et l’esprit qui l’emportèrent : Hanoukah est en fait, la célébration de la victoire d’Israël dans ses combats constants contre l’obscurantisme, la haine et l’hégémonie contraignante du puissant.

La grande controverse talmudique entre l’école de Hillel et celle de Chamaï (Traité Chabbath 21B), était fondée sur la question : comment faut-il allumer les huit lumières de la hanoukiah, en les allumant toutes le premier soir, puis en diminuant de façon décroissante jusqu’à n’en allumer qu’une seule le huitième soir, ou procéder dans l’ordre inverse en commençant par n’allumer qu’une seule mèche, puis en terminant par les huit le dernier soir ? Ce problème transcrit une divergence fondamentale dans la vision de l’évènement et de l’histoire de Hanoukah, et donc de sa dimension didactique. Pour Chamaï, il importe de célébrer en totalité le miracle de la fiole d’huile, qui permit d’allumer le chandelier durant huit jours, car il n’y a pas de demi mesure dans la délivrance divine : elle éclate d’un coup, même si elle passe par des étapes préalables. La bonne attitude, pour cette école, est de rendre grâce à D. pour Ses prodiges et de les utiliser comme ils viennent, selon le principe qui veut que l’homme accomplit ce qu’il doit accomplir, et que ce qui est au-dessus de ses possibilités, il le laisse à D. Dans l’interprétation de la position de Chamaï par nos penseurs, nous voyons que le potentiel du miracle divin était à son comble le premier jour, puis allait en s’amenuisant durant huit jours : il ne convient donc pas d’allumer les huit lumières le dernier soir, puisque ce soir-là est le dernier que D. avait prévu pour la durée du miracle. La thèse de l’école de Hillel est bien différente : elle s’appuie sur la durée et non sur le potentiel, c’est-à-dire que chaque jour de lumière pour le chandelier du Temple, est un miracle supplémentaire qu’il faut matérialiser en allumant chaque soir une lumière de plus.  L’ordre croissant de l’allumage, selon Hillel, correspond au principe bien connu de l’élévation progressive dans la sanctification, afin de parvenir au sommet en fin de processus. Cependant, les deux écoles se rejoignent par un dénominateur commun : l’allumage des lumières est en soi le moyen de divulguer le miracle et de rendre hommage à D. pour cela. C’est ce qui explique que ces lumières sont sacrées et non profanes, c’est-à-dire que l’on ne peut que les observer et non les utiliser : elles n’ont d’utilité que pour diffuser la lumière de l’esprit de Hanoukah, ce pour quoi la guerre des Asmonéens a été nécessaire et la délivrance divine accordée. Il revient au chef de famille d’allumer et d’expliquer le miracle et la signification de Hanoujah, un peu comme à Pessah, c’est lui qui raconte et commente, aux membres de sa famille, la sortie d’Egypte ; les éléments du séder ne sont là que pour assoir le récit et susciter les questions. Nous voyons donc que l’essentiel de la célébration de Hanoukah consiste dans l’allumage, chez soi entouré de sa famille, car c’est ainsi que la tradition d’Israël a toujours été transmise, et que notre peuple a assuré sa pérennité. Il n’y a donc aucune utilité d’aller sur la place publique se livrer à des manifestations tonitruantes, superflues et anachroniques.

Dans le Talmud, la victoire des Asmonéens n’est citée que pour rapporter ce qu’ils firent de suite après la bataille : ils restaurèrent le Temple profané et rallumèrent le grand chandelier, grâce à cette fiole d’huile d’olive qui avait échappé aux impies. En somme, la victoire n’eut pour but que la restauration du culte sacrificiel et rituel dans le Temple. Ceci donne aux Asmonéens une toute autre dimension que celle de combattants classiques : ils n’étaient pas des guerriers, ils n’étaient pas des mercenaires, mais seulement des prêtres profondément épris de D. et ils levèrent l’étendard de la révolte contre les Grecs uniquement pour mettre fin à l’assimilation des judéens à leur culture, à leur paganisme. C’est cela qui immortalisa leur combat contre Antiochus et qui  fut retenu dans le texte additif que nous lisons dans toutes nos prières quotidiennes durant les huit jours de Hanoukah : « Tu livras les puissants aux mains des faibles, les multitudes aux mains du petit nombre, les impies aux mains des justes.. ». L’issue de la guerre fut totalement surnaturelle, providentielle, comme bien souvent dans les combats que mène le peuple d’Israël, qui ne peut que reconnaître l’intervention de la Providence divine. Ceci explique la durée de la célébration de Hanoukah : huit jours correspondant au chiffre huit qui indique la continuité au-delà des règles de la nature, comme la circoncision pratiquée le huitième jour, après le septième jour qui conclut la Création.

C’est en cela que Hanoukah a acquis son caractère immuable. Ce n’est pas une simple victoire militaire dont il s’agit ; celle-ci aurait été consignée dans un livre d’histoire, sans plus. Ce fut une victoire de l’esprit d’Israël, celle qui démontre manifestement que ce n’est pas la force ni les armes qui l’emportent forcément dans la guerre, mais l’esprit et la Volonté de D. initiée par celle des hommes déterminés, comme le furent les Asmonéens.

Les ténèbres sont, en fait, l’absence de lumière car elles précédèrent la création de la lumière originelle, le premier jour de la Création. Le chandelier du Temple n’avait d’autre utilité que de maintenir perpétuellement la lumière de l’esprit de D. dans le monde, une lumière qui n’est comparable à aucune source de lumière créée par les hommes. Son rayonnement est certes faible physiquement, mais grande est son influence par son symbole. La restauration du chandelier fut prioritaire pour les Asmonéens, car elle indiquait que l’esprit de D. resplendissait à nouveau dans le Temple et dans le monde, que ces faibles lumières du chandelier étaient capables de repousser des ténèbres épaisses, celles dont les Grecs voulurent envelopper la terre d’Israël et le peuple juif, en lui interdisant de pratiquer la circoncision et le chabbath, la néoménie et l’étude de la Torah. Tout ce qui constituait un repère fort et ferme dans la tradition d’Israël, dans le temps et dans le corps, devait être banni afin qu’il ne reste plus rien de la Torah et d’Israël. Les Grecs ne voulurent pas tuer le peuple d’Israël, mais ils voulurent faire taire la voix de Jacob et son esprit spécifique : la détermination d’Israël renforcée par la Providence divine les en empêchèrent.

De telles tentatives se reproduisirent au cours de l’histoire d’Israël, à de nombreuses reprises, aboutissant toujours à des échecs pour nos ennemis : les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, la haine des juifs ne fait que les renforcer dans leurs convictions profondes et dans leur détermination à rester fidèles à D. quels que soient les dangers qu’ils encourent.

Voici pourquoi les lumières de Hanoukah, que nous allumerons cette année encore, susciteront encore et toujours le même enthousiasme, la même fascination devant des flammes si petites, mais si grandes de sens.

Hag ourim saméah.