Notre parachah, Vayichlah, est marquée par le fameux combat de Yaakov contre l’ange, protecteur d’Essav, de retour de son long exil à Haran, chez Lavan. Yaakov se prépare à affronter son frère ennemi : Essav. De fait, toute notre parachah est centrée sur cette rencontre redoutable, chargée de symboles ; une rencontre préparée minutieusement par Yaakov, fébrilement, comme s’il avait tout à craindre de son frère. Mais qu’a-t-il donc à craindre, après la promesse divine très claire, sur son chemin vers l’exil ? D. ne lui a-t-il pas promis de le sauvegarder et de le ramener ici, sur sa terre ?
Nos sages expriment leur étonnement devant le comportement de Yaakov, qui envoie des messagers à Essav, alors que celui-ci ne semblait pas particulièrement préoccupé par le retour de son frère. Le Midrash utilise cette expression : c’est comme celui qui tient les oreilles du chien ! C’est le meilleur moyen de l’exciter et de le rendre violent. Qu’a-t-il à envoyer cette délégation, comme pour attirer l’attention de Essav sur lui ? Nous avons un exemple malheureux de ce type de comportement dans notre histoire : la dynastie des Asmonéens, en les personnes des frères Aristobule et Jean Hyrcan, fils de la reine Salomé Alexandra, au premier siècle avant l’ère vulgaire, avaient fait appel à Pompée et donc à Rome pour arbitrer dans le conflit qui les opposait pour le trône de la Judée. Ils avaient fait entrer le loup dans la bergerie, et l’on connait les conséquences désastreuses de cette intrusion. Le Talmud suppose que Yaakov, comme tout tsadik digne de ce nom, n’a pas une pleine confiance en lui et craint toujours qu’il ne possède pas les mérites nécessaires pour bénéficier de la Providence divine (traité Bérakhoth 4A). Présentement, il craignit que sa longue absence loin du chevet de son père, l’ait défavorisé et avait permis à Essav d’accomplir seul le commandement du respect du père, lui donnant un net avantage sur son frère.
Cette peur fit naître le doute dans l’esprit de Yaakov : doit-il s’attendre à la guerre, à la vengeance de son frère qui avait de sérieuses raisons pour cela ? Doit-il au contraire, user de diplomatie, offrir des présents pour amadouer son sombre frère ? Or Hahayim nous fait partager tous ces sentiments mitigés de notre Patriarche qui, finalement va opter pour toutes ces options : il se préparera au pire et prendra toutes ses précautions, notamment en partageant son camp en cas de conflit. Il n’oubliera pas, bien sûr, la prière, arme suprême : il implore D. de le sauvegarder, bien qu’Il le lui ait promis déjà : il ne faut délaisser aucune occasion de prier.
Ainsi, nous verrons Yaakov, presque obséquieux devant Essav, lui servant des «Mon seigneur» en nombre, se prosternant et et se courbant encore devant son frère, comme s’il eut agi de son roi et maître. Cette attitude soumise, ne plut pas à D. Qui lui dira, selon le Midrach Rabba : « Parce que tu t’es humilié et prosterné devant ton frère en l’appelant à huit reprises « Mon seigneur», huit rois règneront – en Canaan – avant tes fils ! ». Cet abus d’amabilités inspirera, des siècles plus tard, Rabbi Yéhouda le Patriarche, dans sa relation amicale avec l’empereur Antonin, pour lequel il faisait preuve d’une déférence extrême, au point que ses disciples en furent agacés : il leur répondit qu’il ne faisait que suivre l’exemple de son ancêtre Yaakov dans sa rencontre avec Essav (appelé aussi Edom).
Il est possible d’expliquer que Yaakov eut réellement peur de Essav et il voulut lui montrer qu’il était toujours l’aîné à qui est du le respect de son frère cadet.
Mais avant cette rencontre historique, Yaakov dut affronter d’abord l’ange de Essav, son protecteur dans les mondes supérieurs, et les circonstances de ce combat suscitent une multitude de commentaires qui tendent tous vers la symbolique et l’allégorie. Sans extraire le récit de son sens obvie, il doit être interprété selon son aspect symbolique, car Yaakov est le père d’Israël, nom qui lui fut accordé précisément à l’issue de ce combat singulier. Celui-ci a une portée prophétique certaine qui prédit l’histoire des combats que devra mener Israël, jusqu’à la fin des temps, jusqu’au lever du jour de la délivrance.
Que vient donc faire ici cet ange qui attaque Yaakov et qui cherche à le vaincre, juste à la veille de sa rencontre avec son frère ? Il y a donc une relation étroite entre ce combat subit et ses retrouvailles avec Essav. Ce combat est d’autant plus problématique que le vainqueur est Yaakov, victoire qui a consisté à ne pas être défait, déstabilisé, comme ces combats de catch où les adversaires doivent mettre à terre l’autre et l’immobiliser. Yaakov est vainqueur, mais il est tout de même blessé, frappé à la cuisse où son col du fémur est luxé. Le combat est enveloppé de mystère et de ténèbres, car il eut lieu la nuit et nous avons l’impression d’entrevoir deux ombres noires, sans identité, qui combattent avec acharnement, jusqu’à l’aube.
Maïmonide, dans son «Guide des Perplexes», considère que ce combat ne fut qu’une sorte de rêve, et que tout n’y est que symbolique (Livre II chap. 42). Il ne sera pas suivi par beaucoup d’exégètes et philosophes, dont Hasdaï Crescas et Ramban, chacun dans son domaine considérant que le combat fut bien un évènement historique tangible qu’il ne faut pas réduire à un simple rêve. Comment comprendre autrement que Yaakov s’en sortit en boitant sur sa jambe, comme le dit explicitement le verset ? Il est vrai que l’on peut expliquer le phénomène, comme le firent Gersonide et Abravanel, au plan psychosomatique ou hitrachemouth selon le terme hébreu philosophique employé : quelqu’un rêve qu’il tombe d’une échelle, il se réveillera avec une impression de douleur dans tous ses membres.
Toujours est-il que tout ici est mystérieux et que la Torah ne révèle qu’une infime partie de l’évènement, dévoilant le quart et cachant les trois quart. Essayons donc de voir plus clair dans cette brume. Cet ange vient défendre les intérêts de Essav, en attaquant Yaakov, car cette confrontation doit prendre l’aspect d’un combat dont doit sortir un vainqueur. Selon Ramban, D. a suscité cet ange afin de révéler à Yaakov les futurs combats de sa descendance face à Edom, face à Rome. Et lorsque Yaakov demande à cet ange son nom, il lui répond qu’il ne fait qu’assurer une mission et que son nom n’a aucune importance en soi. Ce combat, bien que rude et long, puisqu’il se prolongea toute la nuit, aboutira finalement à la victoire de Yaakov, au salut du peuple d’Israël qui viendra en même temps que l’aube qui point. La nuit est toujours synonyme de périodes sombres et obscures, époque d’exil, de persécutions où les repères disparaissent, où l’espoir faiblit et l’angoisse grandit. C’est dans la nuit de l’exil que les ennemis d’Israël peuvent avoir une certaine prise sur lui. C’est dans la nuit que tous les complots sont préparés, orchestrés de la part des ennemis tapis dans l’ombre, à la façon d’un Haman ou d’un Eichmann. Mais sitôt que le jour se lève, sitôt que la lumière de l’espoir dissipe l’obscurantisme et la haine, que la force de se remettre debout et de poursuivre sa route revient, alors l’ennemi disparait et se fond dans l’horizon : l’exil est fini, la nuit est passée et la délivrance, la guéoulah est là. Telle est l’interprétation de Shimshon R. Hirsh qui vécut à l’époque de persécutions en Europe et avant celles qui devaient fondre sur l’Allemagne. Finalement, Yaakov l’emporte en restant ce qu’il est, fidèle à son D. et attaché à sa vocation.
Dans ce combat pathétique, Yaakov est seul, terriblement seul pour affirmer ce qu’il est, comme l’est toujours Israël dans ses combats pour sa survie ; nul ne viendra le défendre ou le protéger le moment venu et nul ne pleurera sa disparition, à D. ne plaise.
Finalement, D. a voulu que ce combat se fasse pour démontrer à Yaakov qu’il était capable de combattre et de l’emporter, qu’il avait en lui la force et les ressources de tenir même face à un ange malfaisant, d’où le nom qu’il acquit comme un titre de noblesse, comme ce trophée brandi à la face du monde qui témoigne de sa victoire chèrement acquise. Un grand maître, le Rachbam va même jusqu’à expliquer que ce combat a été imposé à Yaakov pour l’empêcher de fuir Essav, pour qu’il vainc sa peur de lui. Et à l’issue du combat, en effet, Yaakov n’était plus celui qui évitait l’affrontement, qui usait de ruse pour obtenir ce qui lui revenait, qui contournait l’obstacle pour avancer : il était devenu Israël, le combattant de l’impossible, le victorieux contre les anges et, peut être… contre lui-même.
Telle est notre vocation : combattre et gagner, pour rester qui nous sommes et pour que nos enfants soient ce qu’ils devront être : Israël.
N’est-ce pas ce que nous voyons aujourd’hui, en Israël ?
Notre parachah, Vayichlah, est marquée par le fameux combat de Yaakov contre l’ange, protecteur d’Essav, de retour de son long exil à Haran, chez Lavan. Yaakov se prépare à affronter son frère ennemi : Essav. De fait, toute notre parachah est centrée sur cette rencontre redoutable, chargée de symboles ; une rencontre préparée minutieusement par Yaakov, fébrilement, comme s’il avait tout à craindre de son frère. Mais qu’a-t-il donc à craindre, après la promesse divine très claire, sur son chemin vers l’exil ? D. ne lui a-t-il pas promis de le sauvegarder et de le ramener ici, sur sa terre ?
Nos sages expriment leur étonnement devant le comportement de Yaakov, qui envoie des messagers à Essav, alors que celui-ci ne semblait pas particulièrement préoccupé par le retour de son frère. Le Midrash utilise cette expression : c’est comme celui qui tient les oreilles du chien ! C’est le meilleur moyen de l’exciter et de le rendre violent. Qu’a-t-il à envoyer cette délégation, comme pour attirer l’attention de Essav sur lui ? Nous avons un exemple malheureux de ce type de comportement dans notre histoire : la dynastie des Asmonéens, en les personnes des frères Aristobule et Jean Hyrcan, fils de la reine Salomé Alexandra, au premier siècle avant l’ère vulgaire, avaient fait appel à Pompée et donc à Rome pour arbitrer dans le conflit qui les opposait pour le trône de la Judée. Ils avaient fait entrer le loup dans la bergerie, et l’on connait les conséquences désastreuses de cette intrusion. Le Talmud suppose que Yaakov, comme tout tsadik digne de ce nom, n’a pas une pleine confiance en lui et craint toujours qu’il ne possède pas les mérites nécessaires pour bénéficier de la Providence divine (traité Bérakhoth 4A). Présentement, il craignit que sa longue absence loin du chevet de son père, l’ait défavorisé et avait permis à Essav d’accomplir seul le commandement du respect du père, lui donnant un net avantage sur son frère.
Cette peur fit naître le doute dans l’esprit de Yaakov : doit-il s’attendre à la guerre, à la vengeance de son frère qui avait de sérieuses raisons pour cela ? Doit-il au contraire, user de diplomatie, offrir des présents pour amadouer son sombre frère ? Or Hahayim nous fait partager tous ces sentiments mitigés de notre Patriarche qui, finalement va opter pour toutes ces options : il se préparera au pire et prendra toutes ses précautions, notamment en partageant son camp en cas de conflit. Il n’oubliera pas, bien sûr, la prière, arme suprême : il implore D. de le sauvegarder, bien qu’Il le lui ait promis déjà : il ne faut délaisser aucune occasion de prier.
Ainsi, nous verrons Yaakov, presque obséquieux devant Essav, lui servant des «Mon seigneur» en nombre, se prosternant et et se courbant encore devant son frère, comme s’il eut agi de son roi et maître. Cette attitude soumise, ne plut pas à D. Qui lui dira, selon le Midrach Rabba : « Parce que tu t’es humilié et prosterné devant ton frère en l’appelant à huit reprises « Mon seigneur», huit rois règneront – en Canaan – avant tes fils ! ». Cet abus d’amabilités inspirera, des siècles plus tard, Rabbi Yéhouda le Patriarche, dans sa relation amicale avec l’empereur Antonin, pour lequel il faisait preuve d’une déférence extrême, au point que ses disciples en furent agacés : il leur répondit qu’il ne faisait que suivre l’exemple de son ancêtre Yaakov dans sa rencontre avec Essav (appelé aussi Edom).
Il est possible d’expliquer que Yaakov eut réellement peur de Essav et il voulut lui montrer qu’il était toujours l’aîné à qui est du le respect de son frère cadet.
Mais avant cette rencontre historique, Yaakov dut affronter d’abord l’ange de Essav, son protecteur dans les mondes supérieurs, et les circonstances de ce combat suscitent une multitude de commentaires qui tendent tous vers la symbolique et l’allégorie. Sans extraire le récit de son sens obvie, il doit être interprété selon son aspect symbolique, car Yaakov est le père d’Israël, nom qui lui fut accordé précisément à l’issue de ce combat singulier. Celui-ci a une portée prophétique certaine qui prédit l’histoire des combats que devra mener Israël, jusqu’à la fin des temps, jusqu’au lever du jour de la délivrance.
Que vient donc faire ici cet ange qui attaque Yaakov et qui cherche à le vaincre, juste à la veille de sa rencontre avec son frère ? Il y a donc une relation étroite entre ce combat subit et ses retrouvailles avec Essav. Ce combat est d’autant plus problématique que le vainqueur est Yaakov, victoire qui a consisté à ne pas être défait, déstabilisé, comme ces combats de catch où les adversaires doivent mettre à terre l’autre et l’immobiliser. Yaakov est vainqueur, mais il est tout de même blessé, frappé à la cuisse où son col du fémur est luxé. Le combat est enveloppé de mystère et de ténèbres, car il eut lieu la nuit et nous avons l’impression d’entrevoir deux ombres noires, sans identité, qui combattent avec acharnement, jusqu’à l’aube.
Maïmonide, dans son «Guide des Perplexes», considère que ce combat ne fut qu’une sorte de rêve, et que tout n’y est que symbolique (Livre II chap. 42). Il ne sera pas suivi par beaucoup d’exégètes et philosophes, dont Hasdaï Crescas et Ramban, chacun dans son domaine considérant que le combat fut bien un évènement historique tangible qu’il ne faut pas réduire à un simple rêve. Comment comprendre autrement que Yaakov s’en sortit en boitant sur sa jambe, comme le dit explicitement le verset ? Il est vrai que l’on peut expliquer le phénomène, comme le firent Gersonide et Abravanel, au plan psychosomatique ou hitrachemouth selon le terme hébreu philosophique employé : quelqu’un rêve qu’il tombe d’une échelle, il se réveillera avec une impression de douleur dans tous ses membres.
Toujours est-il que tout ici est mystérieux et que la Torah ne révèle qu’une infime partie de l’évènement, dévoilant le quart et cachant les trois quart. Essayons donc de voir plus clair dans cette brume. Cet ange vient défendre les intérêts de Essav, en attaquant Yaakov, car cette confrontation doit prendre l’aspect d’un combat dont doit sortir un vainqueur. Selon Ramban, D. a suscité cet ange afin de révéler à Yaakov les futurs combats de sa descendance face à Edom, face à Rome. Et lorsque Yaakov demande à cet ange son nom, il lui répond qu’il ne fait qu’assurer une mission et que son nom n’a aucune importance en soi. Ce combat, bien que rude et long, puisqu’il se prolongea toute la nuit, aboutira finalement à la victoire de Yaakov, au salut du peuple d’Israël qui viendra en même temps que l’aube qui point. La nuit est toujours synonyme de périodes sombres et obscures, époque d’exil, de persécutions où les repères disparaissent, où l’espoir faiblit et l’angoisse grandit. C’est dans la nuit de l’exil que les ennemis d’Israël peuvent avoir une certaine prise sur lui. C’est dans la nuit que tous les complots sont préparés, orchestrés de la part des ennemis tapis dans l’ombre, à la façon d’un Haman ou d’un Eichmann. Mais sitôt que le jour se lève, sitôt que la lumière de l’espoir dissipe l’obscurantisme et la haine, que la force de se remettre debout et de poursuivre sa route revient, alors l’ennemi disparait et se fond dans l’horizon : l’exil est fini, la nuit est passée et la délivrance, la guéoulah est là. Telle est l’interprétation de Shimshon R. Hirsh qui vécut à l’époque de persécutions en Europe et avant celles qui devaient fondre sur l’Allemagne. Finalement, Yaakov l’emporte en restant ce qu’il est, fidèle à son D. et attaché à sa vocation.
Dans ce combat pathétique, Yaakov est seul, terriblement seul pour affirmer ce qu’il est, comme l’est toujours Israël dans ses combats pour sa survie ; nul ne viendra le défendre ou le protéger le moment venu et nul ne pleurera sa disparition, à D. ne plaise.
Finalement, D. a voulu que ce combat se fasse pour démontrer à Yaakov qu’il était capable de combattre et de l’emporter, qu’il avait en lui la force et les ressources de tenir même face à un ange malfaisant, d’où le nom qu’il acquit comme un titre de noblesse, comme ce trophée brandi à la face du monde qui témoigne de sa victoire chèrement acquise. Un grand maître, le Rachbam va même jusqu’à expliquer que ce combat a été imposé à Yaakov pour l’empêcher de fuir Essav, pour qu’il vainc sa peur de lui. Et à l’issue du combat, en effet, Yaakov n’était plus celui qui évitait l’affrontement, qui usait de ruse pour obtenir ce qui lui revenait, qui contournait l’obstacle pour avancer : il était devenu Israël, le combattant de l’impossible, le victorieux contre les anges et, peut être… contre lui-même.
Telle est notre vocation : combattre et gagner, pour rester qui nous sommes et pour que nos enfants soient ce qu’ils devront être : Israël.
N’est-ce pas ce que nous voyons aujourd’hui, en Israël ?