LE PRINCIPE DE LA BENEDICTION DE GRÂCE

Dans notre section de Ekev, Moshé nous dit : « Tu mangeras, tu te rassasieras et tu béniras l’Eternel ton D. » (VIII  v.10). Nos sages, dans le Talmud, considèrent ces trois verbes comme des commandements positifs aboutissant à la bénédiction de grâce récitée après le repas. De plus, du sens strict de la Torah, nous comprenons que l’on n’a l’obligation de remercier D. que lorsque l’on est rassasié par le repas consommé, autrement, non ! Cependant, une mesure minimale de consommation de pain a été exigée pour réciter la « birkat hamazone », la bénédiction après le repas, ainsi qu’une multitude de règles précises déduites de ce verset. Nous avons donc, ici, l’occasion de développer la notion de bénédiction, celle particulièrement liée au profit tiré d’un bien terrestre, la nourriture en l’occurrence.

Le Sefer Hahinoukh explique la raison pour laquelle cette bénédiction de grâce est récitée « après » et non « avant » le repas, comme c’est le cas de la plupart des bénédictions d’accomplissement d’un commandement positif. La nourriture que l’homme consomme est directement liée à son instinct de conservation qui exige de satisfaire immédiatement un besoin physique, sans aucun compte pour un quelconque bienfait supérieur ; tel n’est pas le cas, évidemment, de la bénédiction de la lecture de la Torah, par exemple, récitée avant l’accomplissement de la mitsvah, précisément parce qu’elle concerne l’esprit de l’homme, son côté élaboré et élevé qui lui font prendre conscience de l’importance et de la portée de cette mitsvah avant même de l’accomplir. Il en est de même pour la plupart des bénédictions de mitsvah, récitées scrupuleusement avant l’accomplissement de l’acte requis.

Mais pourquoi la Torah exige-t-elle de nous de bénir D. comme s’Il en avait un besoin quelconque ? En fait, le bénéfice est pour nous et non pour Le Très Haut. Par ces bénédictions, nous attestons que le monde et ce qu’il contient est l’œuvre du Créateur Qui y exerce Sa Providence et y épanche Ses bienfaits, de façon équitable et généreuse, sans oublier la moindre de Ses créatures. Il pense le monde en permanence et le maintient en existence en lui apportant soutien et subsistance, constamment et sans répit. Aucune créature ne survivrait si D. ne lui apportait, directement ou indirectement, sa pitance quotidienne, jusqu’au moindre insecte. En bénissant D. nous affirmons que D. est Le Créateur -pour les bénédictions de jouissance- et qu’Il accorde Ses bienfaits à toute La Création, sans aucune exception. On raconte que Rabbi Israël Baal Chem Tov, encore très jeune, avait l’habitude de s’isoler dans les forêts de l’Oural, près de sa ville natale. Il eut l’idée un jour de suivre le trajet d’une simple feuille tombée d’un arbre ; elle tournoyait et voletait jusqu’à tomber par terre, très loin de son arbre d’origine. Il s’approcha et vit alors un ver sortir de terre puis monter sur la feuille tombée pour s’en nourrir. Il pensa alors qu’elle était tombée juste à cet endroit pour servir de repas à ce ver de terre, obéissant en cela à la Volonté de D. Nous sommes loin de la conception de la philosophie grecque antique qui considérait D. comme étant effectivement Le Créateur, en tant que Premier moteur du monde, mais que depuis, il a laissé le monde agir seul, «sans se mêler».

La nature égoïste de l’homme rassasié le pousse à oublier très vite Celui Qui lui accorde sa subsistance quotidienne, Celui Qui donne généreusement à chacun sa nourriture, surtout lorsqu’il peine pour assurer son pain quotidien en labourant, en semant, en moissonnant et en battant son blé pour en faire la farine qui lui sera nécessaire à élaborer son pain. Que pense-t-il alors ? Qu’il ne doit tout ce qu’il possède et mange qu’à son labeur et à sa force. C’est précisément pour évincer de telles pensées que la Torah insiste sur la nécessité de bénir et donc d’exprimer sa reconnaissance envers D. Lui Qui possède tout et à Qui on ne fait que rendre une infime partie de ce qu’Il nous a donné, comme le dit si bien le psalmiste : « Car c’est de Toi que tout procède, et c’est de Ta main que nous Te donnons ».

Une dimension supplémentaire est attachée aux bénédictions. Elles permettent de faire s’épancher le bien et la satiété, la bénédiction, d’en Haut vers l’en Bas, dans un mouvement de retour. La bénédiction est le moteur de la bénédiction céleste, provenant du « réservoir » d’en Haut, de là d’où se déverse la profusion et le bien pour l’homme. Plus nous bénissons D. nous Lui exprimons notre reconnaissance, plus le bien et la satiété se déversent sur le monde. Voici pourquoi nos sages disent dans le Traité Bérakhote : celui qui profite d’un aliment dans ce bas monde, sans bénir D. est considéré comme s’il avait volé D. et Israël. Il vole D. car il ne le reconnait pas en tant que Créateur, et Israël parce qu’il empêche la bénédiction de redescendre et se répandre sur terre.

Shimshon R. Hirsch ajoute encore une raison à la bénédiction : celle de l’élévation de l’être. Après un repas dans lequel le corps est rassasié et repu, vient le moment de donner à l’esprit à nouveau sa place, sa prépondérance, non comme une chose radicalement différente, mais plutôt comme si l’esprit s’appuyait sur le corps renforcé par ce repas pour s’élever à nouveau, notamment en reconnaissant à D. Sa place unique de Créateur et de source de tout le bien qui parvient au monde.

Nous pouvons aller encore plus loin dans notre réflexion en soulignant que D. Lui-même est volontaire dans cet épanchement de Sa bénédiction sur terre ; c’est en fait, le but de La Création que de donner à l’homme ce bien qui lui revient de la part de D. et qu’il s’agit là d’un mécanisme naturel et fondamental dans l’équilibre du monde. D. crée l’homme afin qu’il perfectionne le monde dans lequel il est placé et qu’il est seul à pouvoir améliorer. Sa tâche première est de reconnaître Le Créateur et donc Le Bienfaiteur du monde et de l’homme qui en est le couronnement. C’est cette fameuse bénédiction, récitée avant ou après, qui lui permet d’exprimer cette reconnaissance ou cette gratitude envers Celui Qui n’attend que de pouvoir épancher Son amour et Ses bienfaits sur Son monde. La Création n’attend donc de l’homme qu’il se conduise en responsable du monde dont il a la garde, d’exprimer de la façon la plus élevée grâce à l’esprit et à la parole dont il est doté exclusivement, la bonté et la générosité de D. Grâce à cela, si l’homme assume dignement son rôle, le bien emplira la terre, conformément à l’aspiration de D. Qu’entendons-nous par « assumer dignement son rôle » ? Agir exactement à l’opposé de ce vers quoi le poussent ses instincts, l’ingratitude et la suffisance, et rendre grâce à D. en tant que Créateur de tout et notamment de la subsistance accordée quotidiennement à l’homme, par son labeur.

Le Talmud nous enseigne que les trois bénédictions du Birkat hamazone sont attribuées la première, à Moshé par les mérites duquel la manne tombait tous les matins pour nourrir Israël ; la seconde est attribuée à Josué qui a conquis et partagé la terre d’Israël. La troisième bénédiction qui reconnaît la place centrale de Jérusalem, a été apportée par les rois David et Salomon, fondateur de Jérusalem, capitale d’Israël, et bâtisseur du Temple (Traité Berakhoth 48A). Ces quatre personnages majeurs dans notre histoire, représentent trois époques distinctes : celle du désert après la sortie d’Egypte, marquée par la manne céleste qui permit à nos ancêtres de ne se consacrer qu’à l’étude de la Torah sous la conduite de Moshé. Josué inaugura une ère nouvelle, celle de la conquête de Canaan et de l’installation d’Israël sur sa terre promise. Enfin, les royautés de David et de Salomon, les plus grandes et les plus prestigieuses de l’histoire de notre peuple, marquèrent le choix de Jérusalem et l’installation de D. dans Son sanctuaire.    Nous pouvons ainsi dire que nous suivons le même processus que celui de la bénédiction : d’abord, c’est D. Qui nourrit directement le peuple, ensuite Israël s’installe sur sa terre où il doit lui-même travailler la terre pour se nourrir. Enfin, c’est le peuple qui rend hommage à D. en lui bâtissant Son Temple, en lui dédiant Sa demeure où Il résidera au milieu d’Israël. La boucle est bouclée et les bienfaits de D. envers Son peuple sont récompensés par la reconnaissance à D. à travers Son Temple. N’oublions pas que ce Temple était le lieu de prédilection de la bénédiction qui se répandait dans le monde tout entier à partir de là, tel l’épicentre d’un séisme.

D. donne à l’homme tout ce dont il a besoin ; l’homme doit lui être reconnaissant et l’en remercier.