LE  NAZIR DANS LA TORAH

Immédiatement après le chapitre concernant la Sota ou l’épouse soupçonnée d’adultère, la parachah de Nasso nous expose les lois du nazir. Il s’agit d’un homme qui fait vœu d’abstinence et de privations en l’honneur de D. ce qui l’astreindra à un certain nombre d’interdits dans sa vie quotidienne. Nos sages expliquent que la proximité de ce sujet avec celui de la Sota, indique que cet homme, voyant la déchéance de la femme adultère révélée, s’interdit catégoriquement de boire du vin, pour éviter un état d’ébriété pouvant provoquer tout excès nuisible et préjudiciable (Traité Nazir 2 A).

Cette réaction extrême n’est pas du tout bien vue par nos Sages qui considèrent le naziréat comme une faute, sanctionnée d’ailleurs par un sacrifice expiatoire spécifique, comme le fait remarquer Rabbi Eliézer Hakappar, dans le Talmud (Traité Taanite 11A). Nos sages ont ce mot : « Sanctifie-toi avec ce qu’il t’est permis de faire !». Pourquoi donc s’imposer des privations et s’interdire pour lui ce qui est permis pour tout le monde ? D’ailleurs, il faut remarquer que le verset commence par dire : « Tout homme qui se met à part en vouant un vœu de naziréen…» (Bamidbar VI, 2)

Même Chimon le Juste, lui qui loua un jour le nazir qu’il avait accueilli, en tant que grand Prêtre, venu offrir son sacrifice, condamna implicitement les autres nézirim qui n’avaient pas en général, les intentions aussi pures que celui qu’il avait devant lui. En effet, lorsqu’il lui demanda la raison qui l’avait poussé à prononcer son vœu de nazir, le jeune homme lui répondit qu’il s’était miré un jour sur l’onde de l’eau ; voyant son reflet qui lui renvoya l’image de son très beau visage et de ses longs cheveux bouclés, il eut peur de s’enorgueillir et décida alors de devenir nazir, ce qui le contraindra par la suite à couper ses cheveux et à se raser la tête.

C’est que le nazir s’impose volontairement des restrictions et donc, des souffrances inutiles, lui interdisant certains des biens de ce monde qui sont donnés à l’homme, à priori, pour en jouir selon un code et une éthique donnés dans la Torah ; pourquoi donc s’en priverait-il ?

Seul Ramban, parmi les exégètes, trouve un aspect positif voire louable au nazir. En effet, il considère cette démarche comparable au niveau de prophétie qui mène l’homme à une très grande proximité avec D. Sa décision est  l’aboutissement d’un élan mystique dont toute entrave physique et matérielle doit être éliminée. Et pour ce qui est du sacrifice expiatoire, Ramban explique qu’il est du à la fin de son vœu de naziréat, qui interrompt précisément ce cheminement vers D.

Pourtant, la Bible nous relate de façon plutôt favorable, l’histoire de bien des naziréens, sans toutefois clairement établir s’ils sont loués pour l’élévation spirituelle qui les rapproche de leur Créateur, à Sa demande, afin d’assumer une mission précise, ou s’ils sont distingués parce qu’ils sont eux-mêmes à l’initiative de leur cheminement vers D. Le nazir est vu comme un juste choisi par D. pour accomplir une mission divine de la plus haute importance auprès de Son peuple. Celui qui nous vient à l’esprit immédiatement est, bien entendu, Chimchon l’avant dernier Juge dans une période particulièrement difficile de son histoire, dans ses conflits incessants avec les philistins. Bien que prédestiné par D. avant même sa naissance, à cette haute mission au service de Son peuple, ce qui lui donnera automatiquement ce statut de nazir, à savoir celui qui est consacré à D. et distingué des autres, il ne représentera pas l’idéal prophétique d’Israël, et son histoire personnelle l’aura démontré. D’abord fort et puissant, défendant Israël avec la plus grande vigueur, il se laissera stupidement séduire par une belle femme à la solde des philistins et tombera lamentablement dans ses rets. Sa fin, quoique glorieuse et héroïque, ne fera pas oublier ses manquements graves à la mission divine dont il avait été chargé.

Un autre naziréen réputé fut le propre fils du roi David, Avchalom, qui a voulu usurper le trône de son père, et qui fut contraint de s’enfuir par la suite. L’histoire raconte que sa longue chevelure qui lui donnait sa grande beauté, l’avait trahi lorsqu’elle se prit dans les branches basses d’un arbre, précisément lorsqu’il s’était enfui. C’est ainsi que le général Yoav ben Tsérouyah le tua, alors qu’Avchalom était suspendu entre ciel et terre, par ses cheveux (II Samuel, XVIII v.9). Il est vrai que là non plus, nous ne pouvons trouver le meilleur exemple de nazir. Mais il y eut un autre nazir, fort distingué et juste parmi les justes : ce fut le prophète Samuel lui-même, qui fut consacré à D. par sa

mère Hanna, lorsqu’elle demanda un fils à l’Eternel (I Samuel I v.11). Le prophète Samuel ne peut en aucun cas être confondu avec un quelconque nazir jurant abstinence : il devait être le dernier Juge d’Israël, son prophète envoyé par D. celui qui devait oindre les deux premiers rois d’Israël, Saül et David.

Il est probable que bien d’autres « disciples de prophètes » étaient naziréens, mais ils restèrent inconnus parce qu’ils n’avaient pas été investis de mission divine. Il semble donc nécessaire de distinguer entre ces naziréens désignés par D. et qui Lui sont consacrés, et ceux qui décident de leur propre initiative de s’élever vers Lui en choisissant le chemin difficiles des privations et de l’ascétisme.

Parmi les interdits qui pèsent sur le nazir, outre ce qui est le plus connu, la coupe de ses cheveux, le plus connu est celui de la consommation de vin et de tous ses dérivés. C’est à ce point catégorique, qu’il ne lui est même pas permis de passer près d’une vigne de peur d’être tenté en voyant les grappes de raisins pendant des ceps. Nos sages voient dans cette interdiction une chose positive, car l’excès de vin peut mener l’homme aux pires excès, à sa déchéance et à sa fin. Maïmonide le premier, connu pour sa philosophie d’ascète, reconnait que la privation de vin est la meilleure chose qui soit et qui mène à la sainteté. La meilleure preuve est celle du Grand Prêtre dont le statut et la sainteté lui interdisait de se rendre impur même pour le décès d’un proche, précisément parce qu’il lui était interdit de boire du vin. Cette boisson enivrante ne lui aurait certainement pas permis d’assumer son sacerdoce, au niveau de conscience et de lucidité qui lui incombaient ; le sort tragique des deux fils d’Aharon le démontre bien.

Pourtant, bien des voix se font entendre pour ne pas incriminer le vin de tous les vices imputables à l’homme. Ce n’est pas le vin qui enivre, mais l’homme qui s’enivre ! C’est son penchant aux plaisirs et aux excès qui pousse l’homme à se détourner des voies de la raison et du bien ; son esprit perd alors tout discernement et toute mesure censés le préserver et le garder dans les dispositions d’esprit voulues par la Torah. Au contraire, le vin est toujours associé aux sanctifications et aux réjouissances religieuses : que ce soit le kiddouch des chabbath et fêtes, que ce soit à l’occasion du mariage et de la circoncision, le vin est toujours présent pour symboliser cette sanctification. De plus, il représente la sagesse et la connaissance dans le monde mystique ; pour preuve sa valeur numérique de soixante dix, précisément le nombre des sages qui constituaient le Sanhédrin, la Haute Cour de justice.

De toute évidence, il ne s’agit pas du même vin, dans les motivations qui poussent quelqu’un à décider d’être nazir. De son point de vue, il ne voit dans cette boisson noble, qu’un moyen de s’enivrer et de perdre ainsi toute lucidité nécessaire à son jugement. En somme, c’est un aveu de faiblesse qui le mène au naziréat, parce qu’il est incapable de dompter et de maîtriser ses instincts. La Torah veut alors l’astreindre à des règles strictes, pour lui dire qu’il n’est pas bon de s’imposer des privations, même si elles lui semblent nécessaires compte tenu de ses propres carences. L’interdiction de boire du vin devient alors un moyen de contrôler ses bas instincts et de mieux maîtriser son corps ; l’interdiction de se couper les cheveux, un moyen de considérer la beauté physique comme futile et secondaire. Alors, le nazir saura adopter d’autres conceptions, d’autres règles de vie qui le transformeront durablement, et notamment après sa période de naziréat. C’est la raison pour laquelle le verset précise ce qui semble superflu : « ..après quoi le nazir boira du vin » (VI v.20). Il semble logique qu’après avoir apporté son sacrifice et rasé sa tête pour marquer la fin de son naziréat, il lui est désormais permis de boire du vin à nouveau. Au terme de sa période de nazir, si elle est bien vécue et comprise, il ne sera plus le même homme et même lorsqu’il boira à nouveau du vin, il continuera d’être appelé nazir, parce qu’il aura réussi à s’élever au-dessus de ses pulsions et de ses instincts. Un tel homme pourra alors être appelé kadoch, saint consacré à D.

Dans cet esprit, il est aisé de comprendre que la législation de la Torah a un caractère hautement pédagogique, permettant à l’homme de se parfaire même en s’interdisant ce qui est permis ; attitude plutôt écartée dans la Torah. C’est donc l’homme qui décide du chemin qu’il veut emprunter pour se rapprocher de D. et s’éloigner des plaisirs de ce monde, deux choses que l’on ne peut facilement concilier.