Que l’on parle de morale, d’éthique ou simplement de conventions sociales, les lois sociales occupent une part prépondérante dans toute société moderne. Certaines peuvent paraitre comme une avancée déterminante dans le droit des hommes à gérer leur vie sociale, d’autres comme des modalités indispensables de leur vie collective. Cependant, des millénaires auparavant, la Torah donnait déjà le ton et le niveau de conscience auxquelles les lois sociales devaient être placées et respectées, a des époques ou les peuples asservissaient, volaient et spoliaient allègrement. Les sociétés d’alors, ne connaissaient ni ne reconnaissaient aucun droit aux pauvres, à la veuve et à l’orphelin ; bâties sur une hiérarchie de pouvoir ou seuls les puissants et les riches dirigeaient et écrasaient tous les autres sous leur poing, sans l’ombre d’un regret.
Notre parachah, Behar, que nous lirons indépendamment cette année, nous introduit de plain pied dans le monde social d’Israël, par le biais de la chemitah, de l’institution de l’année sabbatique imposant un repos obligatoire à la terre. Pourtant, ce sujet des plus importants, suscite d’emblée une interrogation brutale de la part de Rashi, rapportant le Torath Cohanim, qui s’étonne de la précision semble-t-il, superflue du lieu ou ces lois ont été enseignées : le mont Sinaï. Quel rapport, demande-t-il, entre les lois de l’année shabbatique et la précision que ces lois ont été enseignées au mont Sinaï ? C’est que ces lois apparaissent immédiatement sous leur aspect d’égalité et de justice sociale qu’il est très facile de mettre au compte de la morale humaniste universelle, commune à tous les peuples évolués et civilisés. Mais non, l’année shabbatique répond aussi aux mêmes exigences spirituelles que toutes les autres mitsvoth de la Torah, et les motivations d’une année de repos de la terre ne sont ni agricoles, ni sociales, mais spirituelles, comme tous les autres commandements.
Rappelons d’abord de quoi il s’agit. Durant six années, l’on doit travailler la terre et en tirer le revenu, mais la septième année sera une année de repos de la terre ; il n’y aura ni semence, ni moisson, ni vendange. L’interdiction totale de toute intervention de l’homme sur son champ ou son verger, le place dans une autre dimension que celle de l’exploitant agricole, préoccupé par ses revenus et son niveau de vie. Durant cette septième année, il devra ouvrir son champ à tous et ne pourra en interdire l’accès aux pauvres qui pourront entrer et prendre de quoi assurer les repas du jour, sans toutefois amasser de provisions.
Alors qu’il est recommandé de ne pas trouver de raisons à l’accomplissement des mitsvoth, celle de la chemitah attire particulièrement l’attention de nos exégètes qui, fait exceptionnel, ont apporté chacun son interprétation à ce sujet.
Ainsi, Ramban, Abravanel et le Sefer Hahinoukh, voient dans cette mitsvah la volonté de retrouver le cycle de la Création, le renouvellement du monde marqué par le chiffre sept, le chiffre inscrit dans la nature. Que ce soit les sept années de la chemitah ou les sept chemitoth qui aboutissent au yovel, c’est-à-dire la cinquantième année âpres sept chemitoth, nous restons toujours dans le cycle de la création de la nature. Au-delà de ces cycles possibles dans une vie humaine, nous savons que le monde a une durée de vie de six mille ans et devra entrer ensuite dans un millénaire de ” repos ” à l’instar de l’année shabbatique et du jubilé.
Ces mêmes penseurs trouvent aussi la raison d’être de cette institution dans la nécessité de considérer Le Créateur comme le Maitre du monde, Qui en permet le bon fonctionnement même lorsque l’homme suspend son intervention sur celui-ci. Cela doit sans doute renforcer la confiance totale que l’on doit témoigner au Tres Haut, Lui Qui accorde la subsistance à tout être vivant et a l’homme, sans rapport direct avec son travail.
Maimonide, dans son “Guide”, y voit une mesure didactique, afin d’enraciner dans le cœur de l’homme la compassion et la solidarité envers ceux qui n’ont pas ou qui sont faibles dans la société, y compris les esclaves qui bénéficient également, dans le jubile, de l’affranchissement définitif de leur maitre. Il en est de même pour les propriétés foncières qui reviennent automatiquement a leur premier propriétaire lors du jubile, âpres qu’il fut contraint de s’en séparer pour payer ses dettes.
Sans nul doute, ces considérations d’ordre économique, relèvent également de valeurs sociales fortes et équitables. Le but est évident : extirper du cœur de l’homme le sentiment qu’il ne doit tout ce qu’il possède qu’a son labeur et qu’il est définitivement le propriétaire de ses biens. La notion de propriété, tres ancrée dans le conscient de l’homme et qui est considère comme l’un des acquis élémentaires dans la progression sociale, subit ici un sérieux démenti. Le but de l’homme sur terre n’est pas de posséder et de recueillir le revenu de son travail, mais bien de vivre avec équité et selon les règles de la justice et de la bienfaisance, les deux notions étant quasiment synonymes. Combien de sang et de larmes, de malheurs et de peines aurions-nous évite si le monde avait fonctionne selon ces valeurs que prône notre Torah ? Combien l’homme aurait été grandi s’il voyait en l’autre un semblable plutôt qu’un adversaire ou un ennemi, un homme digne plutôt qu’un misérable qu’il méprise ? Israël apprend que ce qui a lui, appartient plutôt a D. Qui lui a généreusement donne en héritage pour un temps. L a terre n’est pas a l’homme, mais a D. et son rôle sur cette terre est d’y vivre selon l’éthique et la morale, selon le bien et le partage, pas de l’exploiter et de la dégrader.
Ajoutons encore une dimension, particulière à la terre d’Israël, puisque c’est ici que ces règles sont de circonstance. D. avait dit à Moshé : ” Déchausse-toi car la terre sur laquelle tu te tiens est sainte ! ” Cette dimension unique de la sainteté de la terre est indéniablement un élément moteur dans la constitution de ces lois. Elle les motive et nous incite à toujours considérer que rien, sur cette terre, ne peut être vécu simplement, comme les autres sociétés : c’est D. Qui nous l’a donnée afin d’y vivre avec les exigences les plus élevées des valeurs morales et spirituelles, afin d’y instaurer le Royaume des cieux.