D. DE  RIGUEUR  ET  D. DE  MISERICORDE

La  parachah précédente, Chémoth, se conclut sur la véritable interpellation qu’adresse Moïse à D. à la suite de la première difficulté qu’il rencontra dans la difficile mission que D. lui avait confiée. Des mots durs à la limite de l’outrecuidance, dans la bouche de Moché qui insinuerait que D. n’accomplit pas Sa promesse de délivrer Israël d’Egypte (Rashi). Moché est fermement remis à sa place par D. compréhensif mais…nostalgique des patriarches qui, eux, n’avaient jamais osé proférer un seul mot à Son encontre, jamais émis la moindre réserve ou exprimé la moindre déception, alors qu’Il les avait accablés d’épreuves sans fin. S’insurger contre D. c’est ne pas comprendre Son mode de fonctionnement, les étapes de Son action dans le monde.

D. va alors apporter Lui-même une distinction dans les différents Noms qui Le qualifient, en fonction de Ses manifestations aux hommes. Il serait important d’en comprendre les nuances significatives.

Tous les Noms de D. Le caractérisent par Son attitude dans telle ou telle relation vis-à-vis d’Israël. Alors que la rigueur de la justice est exprimée par Elohim, Sa miséricorde est indiquée par le Tétragramme ou une de ses particules, le Hé. Cependant, le Nom Chadaï, plutôt rarement utilisé, caractérisera Sa relation avec les patriarches en tant que D. de la nature, selon Ramban, Qui opéra des prodiges en leur faveur sans qu’ils sortent du cadre des lois de la nature : on appelle cela des miracles cachés que seul l’observateur perspicace sait reconnaître. Ainsi, il sauva Avraham des mains de Nimrod, puis de Pharaon, ainsi que le fut Sarah; il donna à Itshak la prospérité dans ce qu’il ensemença à Guérar et ainsi pour Yaakov qu’Il sauva de la famine et préserva dans son combat avec l’ange de Essav et dans le grave épisode de Dina.

Cette Providence divine très présente ne bouleversa aucunement les règles habituelles de la nature, car D. voulait demeurer discret et invisible pour tester constamment le degré de confiance des patriarches. En effet, il est possible de s’enrichir immensément et croire que nous ne le devons qu’à nous-mêmes et à notre travail, de vaincre des ennemis nombreux (la guerre d’Avraham) et d’en tirer une gloire personnelle ou de survivre à la famine et de n’être reconnaissant envers personne. Telles sont les lois naturelles.

Cependant, les Avoth, ont toujours vu dans leur réussite ou simplement dans leur survie, la main de D. et ils L’en ont largement glorifié. Plus encore, chaque promesse faite à chacun d’eux fut démentie immédiatement dans les faits, que ce soit pour la nombreuse descendance, puisqu’ Abraham dut  attendre l’âge de cent ans pour engendrer Ytshak ou pour la terre promise elle-même, puisqu’ils durent acheter un lopin de terre pour y ensevelir Sarah ou Yaakov pour s’installer à Chekhem. En somme, tout le livre de Béréchith qui ne traite que dans une infime partie de La Création, est plutôt consacrée à la vie si tourmentée des Patriarches, afin de nous inspirer de leur exemple, de leur force dans les épreuves, de leur foi inébranlable en D. Si nous sommes leurs descendants, nous devons leur ressembler.

Voici pourquoi D. rappelle leurs mérites à Moché qui semble oublier que D. Se manifeste même discrètement, même de façon imperceptible pour le commun du peuple: c’est par Son Nom de Chadaï qu’Il Se manifeste ainsi. Moché, quant à lui, réclame du concret et du visible.

Or, D. avait déjà décidé d’apparaître dans toute Sa puissance, dans toute Sa splendeur aux yeux de tous, sans équivoque possible, par Son Nom appelé “le Nom explicite” qui est en fait ineffable. Ce même Nom nous indique D. dans Sa détermination à accomplir Ses promesses faites aux patriarches, quant à la libération de leur descendance et à châtier leurs persécuteurs. En somme, les patriarches eurent le mérite de croire D. sur parole, sans preuve, et à présent, le moment était venu de mettre Sa parole en application.      

C’est pour cela que D. S’irrite d’abord contre Moché -le verbe vaydaber exprime toujours un ton dur et autoritaire- puis, comprenant son impatience, Il lui dit: “Je suis D.”, avec un Hé, laissant envisager qu’Il va châtier les méchants et prodiguer Sa faveur aux bons, c’est-à-dire l’accomplissement de Sa promesse aux descendants des patriarches. D. veut ici faire comprendre à Moché que le niveau de croyance et de confiance en Lui -émounah oubitahone– fut bien plus élevé chez les patriarches, qui se contentaient d’une manifestation divine cachée, que chez Moché et ses contemporains: “Hélas pour ceux qui ne sont plus, mais qui restent inoubliables !”(Midrash Rabba, chap.6 §4).

Comment expliquer cette chute de confiance ? Moché vit une époque et une situation qui nécessitent un autre type de relation avec D. une autre perception de l’Etre Suprême. Rabbi Yéhouda Halévi, dans son Kouzari, répond à cette question. Il s’agit à présent d’un peuple, non de quelques élites de qui l’on peut tout exiger et qui peuvent tout endurer dans le silence. L’on ne peut demander de tels sacrifices, une telle abnégation à un peuple tout entier qui croupit dans la misère, l’esclavage et la persécution cruelle des égyptiens. A l’échelle de millions d’individus avides de délivrance, D. ne peut plus agir de la même façon, discrètement et invisiblement ; le peuple demande des prodiges, des preuves évidentes et écrasantes de la

puissance de D. et de Sa Volonté de le délivrer, même si cela paraît évident pour Lui Qui tient à accomplir Ses promesses aux patriarches. La foi n’est pas la vertu la mieux partagée au monde : ce qui semble transcendant pour l’un, apparaît comme fortuit pour beaucoup d’autres.

Nous comprenons dès lors pourquoi Moché demanda que D. agisse vite et ne laisse plus le doute s’insinuer dans le cœur d’Israël. Ce qui était déjà prévu par D. parce que le moment de la délivrance était venu, inexorablement, comme il est dit dans la parachah de Chémoth. Dès le moment où Israël crie vers D. pour appeler Sa délivrance, D. « écouta et comprit » (II v.24 et 25).  

D. comprit qu’Israël était à présent, prêt et mur pour la Délivrance ; alors Il déclencha le processus de la Guéoula.