Nous entamons la dernière partie de l’extraordinaire histoire de Yossef, un destin exceptionnel. Une success story ? Pas que ça. Joseph est né pour diriger, pour gouverner ; comme l’avait dit Clémenceau : gouverner c’est prévoir. Or, Yossef se révéla être un grand prévoyant, donc un excellent homme d’état, en plus de ses qualités innées d’interpréter les rêves. Ce sont des rêves, les siens, qui attisèrent la jalousie puis la haine de ses frères qui le conduisirent jusqu’aux cachots d’Egypte ; ce sont des rêves, ceux des autres, qui l’en retirèrent pour le hisser jusqu’au sommet du pouvoir. La Providence divine qui s’était attachée à ses pas, le protégea de tous les complots, de tous les malheurs où l’on voulut le précipiter. C’est que Yossef attirait la sympathie et la grâce, nul ne restait insensible à son charme, à son charisme, à son intelligence brillante évidente. Le Pharaon le nomma séance tenante, le maître de l’Egypte, le grand chambellan ou le grand vizir, ou plus simplement, le grand économe de ce pays vu comme le grenier à blé du Moyen-Orient, de l’époque. Honnête te dévoué, il ne pense qu’au bien d’autrui et à celui du Pharaon qui lui cède tout. Il ne fait montre d’aucune arrogance envers ses sujets, envers le peuple affamé, il n’usa d’aucune ruse, d’aucun stratagème pour parvenir au sommet. Son ascension fut si fulgurante qu’il n’eut besoin d’aucun artifice pour se saisir de la place que D. lui apportait sur un plateau. Yossef fut le personnage clé dans le plan divin qui consistait à faire descendre Jacob en Egypte et préparer pour la génération suivante, l’esclavage de ses descendants qui en sortiront, plus de deux siècles plus tard, sous la conduite de Moïse. Chaque pas, chaque acte, chaque mésaventure de Yossef est dirigée de là-Haut.
Mais le Plan de D. se base sur des hommes providentiels qui ont eux-mêmes, une personnalité, une compétence spécifique, des vertus particulières qui finissent par servir l’objectif final. Ainsi Yossef fut un grand économiste, dans le sens moderne du terme, bien avant l’heure. Epris de justice et d’équité, foncièrement honnête et probe, il gère l’Egypte pharaonique avec une compétence immense, comme le feront d’autres grands personnages de l’histoire d’Israël, tels Isaac Abrabanel, grand Argentier du roi du Portugal, avant l’expulsion des juifs à la fin du XVème siècle, ou Joseph Süss Oppenheimer, auprès du Duc de Wurtemberg, dans l’empire Austro-Hongrois, au XVIIIème siècle.
Mais Yossef se distingue très largement compte tenu de son époque. L’Egypte des Pharaons n’est pas le milieu idéal pour y pratiquer des règles de justice et d’équité, tant s’en faut. Le système esclavagiste propre aux peuples antiques, établit forcément l’inégalité totale entre les pauvres, parias de la société, et les riches en faveur auprès du roi. Quant aux esclaves, ils ne figuraient même pas dans l’échelle sociale : ils n’existaient que selon le bon vouloir de leurs maîtres. Or Yossef va introduire des notions de valeurs dans cette Egypte pyramidale. Lorsque la satiété et l’abondance sont là, il emplit les silos et stocke les énormes quantités de récoltes et de provisions : il prévoit et ne gaspille pas. Lorsque les années de famine arrivent, il va gérer ses énormes provisions accumulées dans ses silos et ses granges pour pouvoir nourrir le peuple. Alors que les premières années, le peuple achète avec de l’argent ses provisions, au cours des années suivantes il ne possède même plus d’argent pour acheter. Yossef va donc instaurer le troc et va échanger le grain contre le bétail, bien mobilier. Puis il proposera d’échanger le grain contre la terre des paysans, bien immobilier. C’est en dernier recours, quand la terre d’Egypte deviendra la propriété du Pharaon, qui demeurait le maître absolu le plus riche d’Egypte, que Yossef proposera aux paysans de cultiver leur terre, mais d’en donner le cinquième du revenu au Pharaon, les quatre cinquièmes resteraient à eux pour payer leur travail et les rémunérer afin de nourrir leur famille. Il réussit donc à nourrir l’Egypte, à sauvegarder le statut social des égyptiens qu’il refusa d’en faire ses esclaves et leur préserver leur dignité par le travail libre. Sans oublier qu’il enrichit au-delà de toutes les limites, le Pharaon, en instaurant un impôt équitable proportionnel au revenu de chacun.
Joseph sauva la grande Egypte de la disette et établit le sens de la morale et de la liberté dans son système économique. Nul ne pouvait se sentir exclu, puisque le travail accompli par chacun, lui permettait de se rémunérer. La société ne fut plus basée sur le travail des esclaves, véritables bêtes de somme sans aucune rémunération, mais sur le travail de chacun. Cette philosophie économique que Joseph instaura en Egypte, dura des générations et fit de Joseph un homme d’état extrêmement respecté et adulé, au point qu’on le momifia pour le placer dans un mausolée comparable aux pyramides d’alors : « Aux grands hommes, la nation reconnaissante »…
C’est un homme de cette envergure qui fut désigné par D. pour mettre en place Son projet, sauver de la famine un pays tout entier et assurer la subsistance de toute sa famille qui s’installa dans la province de Gochen, à l’est de l’Egypte sur la rive ouest du Nil.
En attendant l’esclavage qui surviendra à la mort de toute cette génération…