APRES LE DEUIL VIENT LA CONSOLATION

Ce chabbath porte le nom de « Chabbath Nahamou » en raison de la haphtara que nous y lisons : Consolez, consolez Mon peuple ! dira votre D. (Isaïe XL) ; c’est aussi la section Vaethannan que nous lisons traditionnellement après Ticha béav. Après trois lectures de clôture dites « de malheur », lues à partir du jeûne du dix sept Tamouz et tirées de Jérémie et d’Isaïe, nous entamons avec soulagement une série de sept lectures dites « de consolation » inaugurée par cet appel divin à la consolation de Son peuple, et se concluant le chabbath qui précède Roch Hachana.

Il serait particulièrement intéressant de se pencher sur l’exégèse de ces prophéties superbes, parmi les plus belles de la Bible, énoncées toutes par Isaïe, le prophète qui annonça la destruction du royaume du Nord par les armées de Sénachérib l’Assyrien et la menace de ce même conquérant sur Jérusalem (au milieu du VIIIème siècle av. JC). Cette première haphtara a été choisie pour ses paroles réconfortantes, pour son message clair appelant à la consolation du peuple par tous les prophètes présents et à venir, et sa lecture fixée  après le terrible traumatisme de la destruction de Jérusalem et du Temple par Nabuchodonosor et Titus. Bien sûr, Isaïe lui-même n’a pas vécu cette destruction intervenue plus d’un siècle après lui, mais sa prophétie, par définition, aura embrassé toutes ces époques passées et futures, et resteront d’actualité jusqu’à la venue messianique, ainsi que l’explique Radak. La consolation voulue par D. garde tout son sens que ce soit après la destruction passée des deux Temples ou que ce soit à la fin de l’exil, lorsque Israël se relèvera de ses malheurs successifs pour revenir sur sa terre ancestrale.

Cependant, mille questions se bousculent dans notre tête. C’est D. Qui nous a infligé le deuil de la perte de Jérusalem et des Temples, avec tous les massacres qu’elle a engendrés, et c’est Lui Qui veut nous consoler ?

Cet appel à la consolation s’adresse à qui ? Israël a-t-il le droit de refuser la consolation, sous le poids du terrible malheur ? Cette dernière question peut parfaitement se rapporter à « l’après Shoah ». Le doublement du mot nahamou correspondrait aux malheurs doubles qu’Israël a subis : un châtiment double serait-il juste ?

Cessons là les questions et analysons la situation.

Les fautes accumulées d’Israël ne concernent pas seulement l’époque d’Isaïe qui, rappelons-le, n’a pas été contemporain de la destruction. Bien au contraire, il a assisté à la délivrance de Jérusalem du siège de Sénachérib qui s’acheva en déroute totale pour ce dernier (cf. chap XXXVI et XXXVII), grâce aux mérites

d’Ezéchias. Elles seront dénoncées par tous les prophètes, notamment Hochéa, Mikha, Amos et Obadiah jusqu’à Jérémie qui, lui, verra la destruction de Jérusalem avant d’être exilé en Egypte, en -586. D. avertit des années et des décennies avant de mettre à exécution Ses menaces. Les textes prophétiques sont pleins de ces mises en gardes précises, étalées sur des dizaines d’années. N’oublions pas le prophète Jonas qui est dépêché

auprès du roi de Ninive pour lui annoncer la destruction de sa ville à cause de ses péchés. Seule sa brusque prise de conscience et le repentir collectif de Ninive les sauveront de leur fin annoncée, au grand désespoir de Jonas. La morale de l’histoire est que D. attend patiemment que l’homme s’amende jusqu’aux dernières limites de Sa longanimité, parce qu’il ne veut pas faire périr l’homme. A fortiori, a-t-Il mis en garde et attendu patiemment qu’Israël revienne de ses mauvaises voies ; mais rien n’y fit. Cent cinquante années se sont écoulées entre l’exil des dix tribus et la destruction de Jérusalem entraînant  l’exil de Juda et Binyamin !

En fait, la consolation réclamée au premier verset, est précédée par la venue de D. Lui-même Qui revient à Sion après l’exil d’Israël, préfigurant le retour d’Israël sur sa terre. La route est aplanie pour permettre un retour plus rapide, plus direct, laissant entendre que les évènements se précipiteront et prépareront ce même retour.

Le déroulement de ces sept haphtaroth nous présente effectivement cette progression dans cette relation difficile entre D. et Israël. Celui-ci refusera toute tentative de consolation jusqu’à ce que D. Lui-même vienne lui tendre la main et le relever pour mettre fin à son deuil, pour dire que seul Lui peut le consoler, pas Ses envoyés les prophètes.

Cette attitude intransigeante d’Israël se trouve totalement inversée dans notre parachah où nous voyons Moshé tenter de changer le décret divin de lui interdire l’accès à la terre promise, en vain. Là, il s’agit de l’homme qui fait face à l’intransigeance de D.

Le Midrash Rabba nous enseigne que Moshé a adressé cinq cent quinze prières et supplications à D. sans résultat : comment est-ce possible ? L’homme le plus sage, le plus grand des prophètes, le berger d’Israël le plus proche de D. ne réussirait-il pas à faire exaucer ses prières ? Nos sages ont des avis partagés à ce sujet. Abravanel considère que Moshé connaît une fin de non recevoir cinglante : « Ne Me parle plus à ce sujet ! » (v.26) parce que l’objet de ses prières contredit le serment que D. prononça contre Moshé et Aharon de ne point conduire le peuple en Terre promise (Bamidbar XX v.12) ; Aharon n’étant plus, il n’était pas question que D. transgresse Son serment. D’autres considèrent que ses prières furent exaucées à moitié puisque effectivement, il put voir du sommet du mont Nevo, l’étendue de la terre de Canaan, conformément à ce qu’il avait demandé : « Puis-je traverser et voir la bonne terre de l’autre côté du Jourdain ..?» (v.25) Le Hatam Sofer explique qu’en général, une prière est exaucée à moitié et qu’en l’occurrence, Moshé put voir de ses yeux la terre tant espérée, se basant ainsi sur le commentaire de Rashi. Néanmoins, la question reste forte : voyant que toute sa prière n’est pas totalement acceptée, pourquoi insister autant au point « d’agacer » D. ? N’avons-nous pas vu Avraham prendre d’infinies précautions et utiliser toutes sortes de formules de révérence pour obtenir de D. de ne pas détruire Sodome, alors que le sort de cette ville ne le concernait pas directement ? Rashi répond : Moshé ne désespéra pas d’être entendu puisque D. lui avait demandé de mener une campagne militaire contre Sihone et Og, habitant à l’est du Jourdain ; il y vit une ouverture possible de demander d’annuler le serment divin de traverser vers la rive ouest.

Une réponse complémentaire, qui nous parait lumineuse, est donnée à la suite de Rashi par l’auteur du Tséror hamor, Rabbi Avraham Sébah, kabbaliste espagnol du XIXème siècle : c’est une leçon de plus que Moshé nous a léguée, selon laquelle il ne faut jamais désespérer, jamais baisser les bras quand il s’agit d’un combat dans la vie. On doit lever les yeux au ciel et prier avec ferveur et constance, « même si le glaive est posé sur son cou ! ». Prier et prier encore, parce qu’à force, la prière sera exaucée.

Nous nous contenterons de conclure par cet enseignement extraordinaire qui n’a pas d’âge et qui convient tellement à notre époque. Un jour, un hassid demanda au Baal Chem Tov : tant de fois nous prions D. et nous ne voyons pas la réalisation de nos requêtes ! Il répondit : c’est que nous ne savons pas prier… Nous avons tant de choses à nous faire pardonner, dans notre société d’Israël, tant de problèmes à résoudre, avant de demander à D. de nous écouter !

La consolation, c’est quand l’affliction laisse la place à l’espoir et là, c’est sûr, nous sommes pleins d’espérance quant à l’avenir d’Israël.