LA  LASSITUDE DE MOÏSE

Dans notre parachah, Behaalotekha, nous apprenons comment Moché, épuisé par les querelles répétées de son peuple, demande à D. de lui alléger la lourde tâche qui pèse sur lui, depuis la sortie d’Egypte. En fait, son épuisement est surtout dû aux revendications « matérielles » d’Israël, sa soif qu’il faut étancher, sa faim qu’il faut assouvir, sa volonté de changer de nourriture et tant d’autres, sans parler de la trahison majeure du veau d’or. Sa mission de « maître » du peuple, sa vocation de lui enseigner et de lui transmettre les règles de la Torah enseignées par D. lui aurait amplement suffi, car elle correspondait parfaitement au niveau spirituel extrême qu’il avait atteint, auprès de D. Ces querelles incessantes d’Israël et sa mauvaise volonté à se soumettre au joug divin, eurent raison de sa patience, pourtant immense.

D. lui demande alors de désigner ce qui deviendra l’instance juridique suprême qui dirigera le peuple par la suite : les soixante dix Anciens, instance qui deviendra le Grand Sanhédrin des siècles plus tard. Il est important de remarquer que D. n’envisagea cette constitution qu’à la demande de Moché, pensant sans doute que Son fidèle serviteur serait capable d’assumer seul la direction du peuple jusqu’au terme de sa mission. D. lui en donna la force et la résistance depuis Sa révélation à travers le buisson ardent. Les capacités mentales, psychiques et bien sûr spirituelles de Moché, étaient hors du commun, suffisamment puissantes pour mener ce peuple de l’esclavage destructeur en Egypte, au sommet du Sinaï. Or, l’épuisement de Moché n’était pas dû à son irritabilité devant l’inconduite d’Israël et ses perpétuelles révoltes, mais à son incompréhension de la versatilité du peuple. Etant très élevé spirituellement, il était arrivé à croire que tout commandement divin, tout principe religieux est l’évidence même, et ne peut supporter aucune objection, aucune digression.

De plus, la présence matérielle du Tabernacle, permettait d’intégrer parfaitement la présence divine au sein du peuple d’Israël, ainsi que dans l’esprit, ne laissant aucune place à la transgression, qui avait atteint son sommet avec le veau d’or. Que peut souhaiter de plus le peuple d’Israël, outre la présence visible de la Chakhina ?

C’est en constatant que le peuple reste lamentablement attaché aux besoins et aux envies physiques, aux récriminations matérialistes qui lui semblent si futiles, que Moché semble vouloir jeter l’éponge : il fait remarquer à D. qu’après tout, il n’a pas engendré ce peuple pour en être responsable, au point de le supporter tel un parent qui porterait son bébé dans les bras ! (XI v.12). Il est à ce point excédé, qu’il demande à D. de le prendre pour qu’il ne voie pas son impuissance à assumer son rôle.

Moché dans sa modestie proverbiale, ne remet pas en cause le peuple, mais lui-même, exactement comme il l’avait dit à D. lorsqu’il s’était agi de la sortie d’Egypte ; il ne se sent pas de taille pour une si lourde tâche et il est prêt à refuser la mission que D. veut lui confier. En fait, il manque cruellement d’aide pour que sa tâche puisse être supportable et sa mission réussie. L’amour immense que Moché vouait à son peuple, ne lui permettait pas d’envisager un quelconque échec de son leadership, et quand il voyait qu’il n’y parvenait pas, alors il s’adressa à D. pour le relever de sa mission si exaltante. D. consent à lui adjoindre soixante dix Anciens, hommes sages et vénérables, qui constitueront cette instance dirigeante qui perdurera à travers les âges et qui sera investie des hautes fonctions juridiques.

L’image que le Midrash donnera est très belle, et significative. C’est à partir de l’esprit de Moché que D. fera émaner la capacité spirituelle vers ces Anciens, afin qu’ils assument chacun une parcelle du pouvoir de Moché. Mais Il voulait aussi démontrer que c’est à partir de Moché qu’ils auront la connaissance prophétique, et celle de la Torah, car il n’y a qu’une seule Torah et elle a été enseignée au seul Moché. Cela préviendra toute dérive sécessionniste. C’est comme si on allumait des milliers de bougies avec une seule : la flamme de cette dernière n’en serait pas réduite pour autant. L’esprit de Moché qui émanait de D. dans sa clarté et dans sa pureté, resta intact, avec toutes ses capacités, sans rien perdre de son acuité. Cela voulait dire que chacun des soixante dix sages devait comprendre qu’il tenait son esprit de Moché, par la Volonté divine, et que leurs compétences décuplées ne leur venaient que de lui ; ce n’était pas une révélation directe de D. vers eux. La nuance est importante.

Cette position supérieure de Moché, fut aussi mise en cause, à la fin de la parachah, par l’épisode malheureux de Myriam. Mais là encore, D. affirmera que nul n’est comparable à Moché, dans sa hauteur et son envergure spirituelle.