LES CINQ ETAPES DE LA DELIVRANCE D’EGYPTE

La sortie d’Egypte, intervenue il y a plus de trente cinq siècles, constitue la référence historique absolue de la délivrance messianique. A ce titre, elle préfigure ce qui devra se passer lors de la venue messianique et nous renseigne sur le processus de la guéoulah, ainsi que sur la personnalité de celui qui est choisi pour la mener à son terme.

C’est Moshé qui fut choisi par D. pour guider le peuple d’Israël et le mener vers la terre promise, étape finale de la sortie d’Egypte, en raison de ses qualités d’âme et de cœur. C’est donc lui qui peut être considéré comme le messie de l’époque, ou comme l’archétype du messie à venir, celui qui est également décrit par le prophète Isaïe, dans son chapitre XI.

Pourtant, la mission de Moshé ne commence pas dans les meilleures conditions, tant s’en faut. Il refuse d’abord, purement et simplement, la mission divine d’aller délivrer Israël et ce n’est qu’au bout de sept jours d’âpres discussions et les assurances données par D. notamment en lui adjoignant son frère aîné Aharon, que Moshé accepte contraint et forcé, il est vrai, après avoir provoqué l’ire divine (IV 14). Sur sa route vers l’Egypte, Moshé manque d’être tué par l’ange parce qu’il a « omis » de circoncire son propre fils Eliezer, préoccupé ou contrarié par cette mission imposée, et il est sauvé in-extrémis par son épouse Tsipora qui fait le geste approprié en circoncisant son fils, en lieu et place de Moshé. (IV 25-26). Enfin, dernière difficulté en ce début de mission, pour Moshé : il semble s’emporter contre D. en L’interpellant vivement à cause de la mauvaise tournure des évènements ; l’esclavage n’a fait que s’aggraver depuis qu’il est intervenu au Nom de D. devant le Pharaon, pour la première fois ; il ne comprend donc pas le bien fondé de sa mission de « libération » d’Israël. (Fin de la section Chémoth, V 22-23) Où est donc cette délivrance promise ?

Notre parachah, Vaéra, constitue le nouveau commencement ou le véritable début du processus de la délivrance d’Israël, comme si une page est tournée sur un mauvais départ et que les choses sérieuses commencent à présent. Le ton divin est ferme et autoritaire : Vaydaber Elohim el Moshé, indiquant qu’à présent la force de D. va devoir Se manifester dans toute sa puissance contre le Pharaon et son peuple, sentiment renforcé par l’utilisation du mot Ani Hachem ! en fin de verset : Je suis D ! Ne doute pas une seconde que Je Suis seul à récompenser celui qui le mérite. (Rashi) Cette ferme mise au point, qui s’apparente plus à un rappel à l’ordre, fait suite à l’état d’âme qu’exprime Moshé devant la souffrance de son peuple, au point de s’étonner ouvertement devant le Tout Puissant que Sa délivrance est très lente à venir, apparemment. Moshé, dans sa douleur fraternelle face à la pénibilité de l’esclavage, en oublie que D. dirige les évènements de l’Histoire dans une perspective qui lui échappe, lui simple humain ayant les pieds sur terre et impliqué dans le moment présent.

D. est La Cause Suprême, Celui Qui guide l’homme et à fortiori Son peuple, sur le chemin de son destin. Ce n’est que de la souffrance que naîtra le bien, des ténèbres que jaillira la lumière. Tout le processus de la délivrance messianique est inscrit dans cette équation et l’ordre du monde est ainsi pensé par D. S’insurger contre la justice divine au moment de la douleur, c’est ne pas voir les implications majeures induites par les évènements présents, parce que l’homme est, par définition, tout impliqué dans le présent, dans la réalité immédiate ; sa vision ne peut être que limitée et partielle.

Aussi D. va-t-Il remettre Moshé à sa place d’abord, en lui rappelant qu’Il dirige l’histoire d’Israël et qu’Il est à même de châtier ceux qui auront opprimé Son peuple ; puis, en lui promettant l’enclenchement du processus de sa délivrance, selon cinq étapes précises et nécessaires.

D. commence par promettre de « faire sortir Son peuple de dessous le labeur d’Egypte » puis de le « sauver de leur servitude » ; enfin, Il parle de le « délivrer d’un bras étendu et par de grands prodiges » (VI 6). L’analyse fine de ces trois premiers verbes, dans ce verset, nous permet de comprendre le processus du plan divin. Le salut commence par le sauvetage physique du joug égyptien : Israël n’aura plus à subir dans sa chair, la persécution que l’Egypte lui fait subir, son fouet sur son dos et ses charges éreintantes qui meurtrissent leur corps. La Torah utilise plusieurs termes, au début de la parachath Chémoth, pour exprimer précisément la cruauté extrême de cet esclavage, qui brise le corps et lui ôte toute résistance, toute force physique et mentale (I v.14 ; II v.23 ,24,25).

La seconde étape, est celle de la délivrance, qui revêt un aspect mental, qui consiste à empêcher l’oppresseur de reprendre le dessus sur l’opprimé. Cet aspect psychologique est bien connu chez un prisonnier libéré qui est encore habité par la crainte d’être repris et de subir à nouveau le poids de son incarcération. Ces deux étapes seront franchies alors même qu’Israël était encore en Egypte, sous la menace potentielle de leurs tortionnaires d’hier.

La troisième étape est exprimée par la délivrance physique et psychique, celle qu’Israël ressentit après être physiquement sortis d’Egypte et avoir vu, de leurs yeux, les corps des égyptiens flotter sur les eaux tumultueuses de la Mer Rouge, après sa traversée miraculeuse. Le risque d’être repris par les égyptiens n’étant plus, l’angoisse du retour disparut aussitôt ; Israël pouvait enfin respirer l’ai de la liberté !

Le quatrième degré de cette délivrance est exprimé par le verbe vélakahti : « Et Je vous prendrai pour Moi comme peuple, et Je serai votre D. » (VI v.7). Ce verbe a une signification précise dans la Bible : celle d’acheter un terrain, un bien, comme ce fut le cas pour Avraham qui acheta le terrain de la grotte de Makhpela (Béréchit XXIII v.13 ; Traité Kiddouchin 2A). L’acquisition d’Israël par D. est comparable à celle d’une fiancée par son futur époux, lors de la mise de l’anneau au doigt. En effet, cela établit parfaitement le sens ontologique de la sortie d’Egypte, la raison profonde pour laquelle D. usa de tous les prodiges qui l’ont accompagné : c’est pour se diriger vers le mont Sinaï et y recevoir la Torah, qu’Israël – la fiancée – fut délivrée d’Egypte et rompit ses chaînes de l’esclavage, pour appartenir à D. dans une union sublime et totale. D’ailleurs, la tournure du verset exprime tout à fait cette intention profonde, à l’instar de ce que déclare solennellement le fiancé sous le dais nuptial : « Tu m’es à présent consacrée par cet anneau…», il sous entend : et moi, je serai consacré à toi. D. s’unit à  Son peuple.

Cependant, il existe une cinquième et dernière étape, dans ce long cheminement vers la liberté spirituelle historique que D. prévoit pour Son peuple : le lieu de résidence. A l’instar de ces jeunes mariés, qui prévoient même par contrat leur lieu de résidence en tant que couple, D. annonce d’emblée où Son peuple devra habiter définitivement, après l’étape du Sinaï. C’est la terre promise aux Patriarches qui sera le lieu de prédilection de leur vie commune : « Et Je vous ferai entrer dans le pays que J’ai juré de donner à Avraham, et Je vous le donnerai en possession : Je suis l’Eternel ! » (v.8). Voici donc clairement indiqué le but du voyage, de cet évènement métahistorique majeur qu’est la sortie d’Egypte. La Torah doit être appliquée dans un espace adapté, propice à l’épanouissement spirituel, comme l’explique Rabbi Yéhouda Halévi, dans son Kouzari (Chapitre II). La liberté chèrement acquise par Israël, ne vaut que si elle est utilisée et maîtrisée au service d’une doctrine, d’un idéal de vie qui ne peut atteindre sa plénitude qu’en terre d’Israël, terre élue par D. pour le peuple élu par D. C’est là que la véritable connaissance de D. atteindra son paroxysme, comme le prédit le prophète Isaïe, dans son chapitre consacré à la venue messianique (chap. XI). Même une fois installé sur sa terre, Israël peut être considéré encore comme en exil, jusqu’à ce qu’il fait de la Torah son mode de vie au quotidien.

Si nous transposons ce processus de la délivrance vécue par Israël, il y a trente cinq siècles, à celui qui est prévu pour la venue messianique à venir, nous constaterons certaines similitudes frappantes qui nous permettent de croire que le retour sur notre terre est bien un aboutissement de l’exil et sa raison d’être. Les souffrances de l’esclavage en Egypte auront été nécessaires pour apprécier la liberté et la délivrance, au même titre que seul celui qui a vécu dans les ténèbres pourra réellement apprécier la lumière du jour.

La terre d’Israël est l’aboutissement de notre histoire ; c’est sur elle que nous devons nous réaliser en tant que peuple libre et attaché à sa Torah. C’est dans ce contexte que nous vivons le grand débat d’idées qui n’a toujours pas trouvé de conclusion, quant à la manière de vivre sur notre terre.

Nous attendons toujours notre sortie d’Egypte, dans sa dimension mystique tant espérée.