La Rafle du Vel dhiv

Voici un demi-siècle, le philosophe Vladimir Jankélévitch écrivait : « On entend dire parfois que les Déportés, les Juifs, les Résistants commencent à fatiguer leurs contemporains en évoquant trop souvent Auschwitz et le Vel d’Hiv. Nos contemporains, paraît-il, en ont assez. Ils voudraient bien qu’on leur parlât d’autre chose… Les survivants du massacre sont sur ce point d’un autre avis. »

Et pour cause ! Pour les survivants et leurs familles, qui commémorent avec nous aujourd’hui les 74 ans de la Rafle du Vel d’Hiv et toutes les victimes de la Shoah, le passé se conjugue toujours au présent. Aucune page n’est tournée. Les morts continuent de manquer à leurs familles, à leurs amis, à leur communauté, à leur patrie. Ils nous manquent sans lassitude, parce qu’assassinés par des bourreaux qui ne se sont jamais lassés ni fatigués d’exterminer encore et encore plus de Juifs : hommes, femmes, enfants, vieillards sans destin, arrachés à la vie parce que Juifs

A ceux qui aujourd’hui se lassent et que la Mémoire exaspère, nous devons répondre sans relâche, que ce passé se conjugue pour toujours au présent. Que la force du souvenir ne peut connaître aucune faiblesse parce que la Mémoire de ce drame absolu et emblématique est une impérieuse nécessité. Une nécessité d’autant plus grande que le temps passe … sans passer pour tout le monde !

Dans le silence du monde et des grandes consciences, l’antisémitisme destructeur des années 1930 et 1940 a connu plusieurs phases qui, déjà, lassaient les contemporains, pressés de passer à autre chose et de ne retenir que leurs préoccupations aveugles du moment. L’urgence toujours, était ailleurs… Ailleurs que dans le statut discriminatoire des Juifs, leurs expropriations, leur déportation et leur extermination. Ailleurs, mais où donc ?

La récente disparition du très grand homme de Paix que fut Elie Wiesel nous appelle à assumer désormais le rôle de témoins des témoins qu’il nous exhortait à prendre résolument en charge.

Son interrogation majeure : « Pourquoi le monde n’a-t-il rien appris ? » résonne encore plus tragiquement aujourd’hui en France, en Europe et en Israël alors que des Juifs meurent à nouveau d’être Juifs, condamnés par le djihadisme, ce nouveau fléau de notre temps qui fait écho au nazisme d’hier. Aujourd’hui et demain, la plus extrême vigilance s’impose à nous, sans lassitude, sans distinction et sans exception : la barbarie est en pleine résurgence, en divers lieux de notre monde.

Avant que l’irréparable fût monstrueusement commis par le troisième reich et ses complices, on comptait 9 millions de Juifs en Europe en 1933. Douze ans plus tard,(1945) il n’en restait plus que 3 millions. Soixante-seize mille Juifs de France, nos parents, nos frères, nos sœurs, nos enfants, furent envoyés à la mort dans les conditions les plus atroces, dépassant toute imagination.

Entre 1941 et 1944, cent pour cent des biens juifs furent identifiés et cinquante pour cent vendus. Il n’existe pas d’autre exemple d’une politique appliquée de manière si rapide et si zélée que celle du régime de Vichy.

Né de la défaite de 1940, ce gouvernement a scellé le destin des Juifs de France et trahi leur confiance les 16 et 17 juillet 1942.

Jouant de l’effet de surprise autant que de la fidélité des Juifs aux Lois françaises, il les a raflés au saut du lit, dans la rue, à l’hôpital, à l’école, partout, ils savaient les trouver.

Anciens combattants volontaires, engagés pour certains, réfugiés ou enfants de soldats, les Juifs de France, n’imaginaient pas que les autorités françaises seconderaient à ce point l’occupant nazi ni qu’elles accompliraient avec zèle leurs basses besognes.

Les miraculés du Vel d’Hiv n’ont dû qu’aux Justes d’être sauvés.

Ces rafles criminelles organisées par Vichy ont un caractère imprescriptible. Les crimes qui attentent à l’Humanité ne peuvent pas être prescrits. Le temps n’a pas de prise sur eux. Ce que nous commémorons chaque 16 juillet, ce sont nos disparus, leurs arrestations, leurs épreuves, leurs souffrances, leur extermination dans des conditions et une volonté indicibles d’inhumanité.

Collectifs, ces crimes nécessitent une transmission collective de la Mémoire par des actes symboliques, comme celui d’aujourd’hui.

Individuel et secret, le courage héroïque des Justes parmi les Nations et celui des résistants doit être doublement salué et transmis collectivement. Pour que s’expriment notre pleine gratitude et notre reconnaissance envers ces héros de l’ombre qui, femmes et hommes confondus, furent animés par un idéal de Fraternité, d’Égalité et de Liberté qui leur a permis de lutter avec leurs moyens, leur coeur et leur intelligence, contre l’innommable extermination. Pour que la jeunesse d’aujourd’hui et de demain n’oublie pas qu’ils incarnent ce que la France a de meilleur et ses véritables valeurs. Parce qu’ils sont – à l’opposé du crime imprescriptible – et pour l’éternité, l’exemple imprescriptible de justice, de tolérance et d’humanité.

Dans le sillage de nos sages, nous croyons que l’humanité ne se retrouve sans défense que lorsqu’elle manque de mémoire.

Tous les jours, dans le monde présent et à venir, il nous appartient de vaincre la solitude par plus de solidarité, de conjuguer tous nos efforts pour continuer de faire briller la flamme du Judaïsme, celle-là même que les négateurs de vie et de Judaïsme ont voulu détruire en réduisant en cendre des femmes, des hommes et des enfants porteurs d’une morale, d’une culture et d’une religion que nous avons tous désormais la responsabilité de garder vivantes en leur nom.